Aller au contenu

Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


CXXVIII


Ce n’est pas de mon gré, Carle, que ma navire
Erre en la mer Tyrreène : un vent impetueux
La chasse malgré moy par ces flots tortueux,
Ne voiant plus le pol, qui sa faveur t’inspire.

Je ne voy que rochers, et si rien se peut dire
Pire que des rochers le heurt audacieux :
Et le phare jadis favorable à mes yeux
De mon cours egaré sa lanterne retire.

Mais si je puis un jour me sauver des dangers
Que je fuy vagabond par ces flots estrangers,
Et voir de l’Ocean les campagnes humides

J’arresteray ma nef au rivage Gaulois,
Consacrant ma despouille au Neptune François,
À Glauque, à Mélicerte, et aux sœurs Nereïdes.

CXXIX

Je voy, Dilliers, je voy serener la tempeste,
Je voy le vieil Proté son troupeau renfermer,
Je voy le vert Triton s’esgayer sur la mer,
Et voy l’Astre jumeau flamboyer sur ma teste :

Jà le vent favorable à mon retour s’appreste,
Jà vers le front du port je commence à ramer,
Et voy jà tant d’amis, que ne puis les nommer,
Tendant les bras vers moy, sur le bord faire feste.

Je voy mon grand Ronsard, je le cognois d’ici,
Je voy mon cher Morel, et mon Dorat aussi,
Je voy mon Delahaye, et mon Paschal encore :

Et vois un peu plus loin (si je ne suis deçeu)
Mon divin Mauleon, duquel, sans l’avoir veu,
La grace, le sçavoir, et la vertu j’adore.

CXXX

Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse,
Qu’il n’estoit rien plus doux que voir encor’ un jour
Fumer sa cheminee, et apres long sejour
Se retrouver au sein de sa terre nourrice.