Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/14

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dant ces jours de désolation, et dans les juges qui les ont condamnés ils ne voient que « des soudards ivres d’eau-de-vie et de sang ». Il faut sourire, cela ne vaut pas plus.

Quelques-uns, pour mieux prouver qu’ils n’ont point été des assassins, menacent d’assassiner les historiens : d’autres ont pousse la bouffonnerie jusqu’à demander une réparation par les armes a ceux qui ont raconté leurs forfaits, feignant ainsi d’oublier, — oubliant peut-être, — qu’entre les honnêtes gens et eux il y a un fleuve de sang et de pétrole que l’on ne peut franchir L’amnistie enlève les conséquences juridiques et politiques du crime, mais n’en efface pas les conséquences morales. En 1763, Malesherbes entérinant des lettres de grâce disait à des coupables « Retirez-vous ; la peine vous est remise, mais le crime vous reste ! »

Ils ont parfois des fanfaronnades singulières. Dans le buffet d’une gare étrangère, j’ai entendu un homme se vanter d’avoir été un des assassins de l’archevêque : il entrait avec complaisance dans les détails, et, malgré son état de demi-ivresse, parlait avec un tel accent de sincérité qu’une femme qui l’écoutait s’éloigna en pleurant. Or je sais que cet homme a réussi à quitter Paris le 22 mai, et qu’il était à Nancy le 24, dans la soirée au moment où Centon, Sicard, Mégy, Vérig et les autres assassinaient les otages dans le chemin de ronde de la Grande-Roquette ; j’ajouterai que cet homme quoique lieutenant-colonel au service de la révolte, avait été, pendant la Commune, en relations suivies et rémunérées avec un des agents d’Ernest Picard alors ministre de l’intérieur. Ce fait s’est reproduit souvent ; dans le huis clos des cabarets et des tavernes, entre quelques bouteilles, plus d’un contumax s’est attribué des crimes qu’il n’a pas commis. Ce n’est que de la gloriole : les vieux juges savent qu’il y en a parmi les scélérats plus que partout ailleurs.