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L’ARRIVÉE DES OTAGES.

immuable sourire, ayant du fond du cœur renoncé à tout, même à la vie, disant à Dieu : Non recuso laborem, se promenaient et devisaient entre eux, ou écoutaient un missionnaire qui, revenant de Chine, pouvait leur expliquer que sous toute latitude l’homme rendu à lui-même et soustrait à la loi est ressaisi par le péché originel et redevient fatalement une bête sauvage. Le père Allard, l’aumônier des ambulances, portait encore au bras gauche la croix de Genève, ostentation de bon aloi qui forçait les gens de la Commune à violer toutes les conventions, même celle qui sur les champs de bataille protège les infirmiers. L’abbé Deguerry, actif et rassuré par la bonne compagnie qu’il retrouvait enfin, causait avec verve et essayait de faire partager à ses compagnons l’espérance dont il était animé. « Quel mal leur avons-nous fait ? répétait-il à toute objection ; quel intérêt auraient-ils à nous en faire ? » Puis il accusait, en plaisantant, les lits de la Roquette d’être trop courts pour sa longue taille.

Deux otages qui ne s’étaient point rencontrés depuis trente-quatre ans, depuis les jours du collège, se reconnurent. L’un, ses études terminées, obéissant à une irrésistible vocation, avait suivi la voie religieuse ; il était entré dans les ordres et appartenait à la Société de Jésus. Lorsqu’il fut amené au Dépôt de la préfecture de police et qu’on l’interrogea afin de pouvoir remplir les formalités de l’écrou, il répondit : « Pierre Olivaint, prêtre et jésuite, » revendiquant ainsi comme un titre de gloire cette qualification si périlleuse alors et si détestée. L’autre, ancien officier de l’armée, avait quitté l’état militaire et avait embrassé, par goût, l’ingrate carrière de l’enseignement ; c’était M.  Chevriaux, proviseur du lycée de Vanves. Pourquoi avait-il été arrêté et incarcéré ? Son crime était d’avoir gardé fidèlement son poste, qu’il ne croyait pas pouvoir abandonner sans