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LA GRANDE-ROQUETTE.

étaient dessus garantissaient ceux qui étaient dessous. Un fédéré cria : « Allons, les braves, à la baïonnette ! » On lui obéit et cela parut drôle. On larda ces pauvres gens jusqu’à ce qu’ils fussent entrés dans l’éternel silence. Quand on fit la levée des corps, le lundi 29 mai, on constata qu’un des cadavres avait reçu soixante-neuf coups de feu et que le Père de Bengy avait été percé de soixante-douze coups de baïonnette.

Lorsque l’on fut certain que tous étaient bien morts, on se félicita d’avoir « démoli » tant de Versaillais ; les femmes furent embrassées ; on porta la cantinière en triomphe. On alla dans les cabarets se rafraîchir un peu ; une jeune femme disait : « J’ai essayé d’arracher la langue d’un des curés, mais je n’ai pas pu ; » un artilleur colossal, sorte d’hercule forain, qui, sans armes, avait frappé les otages à coups de poing, disait en montrant sa main enflée : « J’ai tant tapé dessus que j’en ai la patte toute bleue. » Le lendemain, quelques fédérés prévoyants vinrent en famille dépouiller les morts ; puis ils jetèrent les cinquante-deux otages et le fédéré dans le trou du caveau, qui était une fosse d’aisances[1]. Un chaudronnier, nommé Joseph Rigaud, qui ne s’était point ménagé parmi les assassins, dit, en contemplant les cadavres : « Voilà, du moins, un tas de fumier qui ne se relèvera pas[2]. »

Stanley, alors à Ouganda, aux confis de l’Afrique orientale, avait enfin réussi à retrouver Livingstone, lorsque, le 14 février 1872, il reçut les journaux d’Europe qui lui apprirent à la fois l’existence, la chute, les crimes et le châtiment de la Commune. Il a noté son impression : « Ô France ! ô Français ! pareille chose est inconnue même au centre de l’Afrique ! »

  1. Voir Pièces justificatives, no  12.
  2. Procès Joseph Rigaud ; débats contradictoires ; 6e conseil de guerre ; 21 mars 1872.