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LA GRANDE-ROQUETTE.

désespoir. Ils se méfiaient des soldats détenus avec eux ; comme les gens menacés d’un grand péril, ils voyaient des ennemis partout ; à voix basse et entre eux ils s’étaient concertés : « Il faut nous barricader, il faut refuser de nous rendre au greffe si l’on nous appelle ; il vaut mieux se faire tuer ici que d’être poussé à coups de crosse à travers les rues par la populace. » Une seule inquiétude les poignait : qu’allaient faire les surveillants ? Obéiraient-ils aux ordres de la Commune ? Se souviendraient-ils qu’eux aussi ils avaient porté l’épaulette et combattu pour la France que l’insurrection s’efforçait de déshonorer ?

Les détenus criminels, les condamnés, ceux que l’insurrection même n’avait pas permis de diriger vers les maisons centrales et les bagnes, réunis dans la cour principale, étaient dans l’anxiété : ils avaient peur. Des obus mal dirigés par la batterie du Père-Lachaise, qui cherchait à atteindre la gare d’Orléans, avaient éclaté sur le toit de la maison. La distribution des vivres n’avait point été faite le matin ; ils se racontaient entre eux que la prison était minée, que l’on devait y mettre le feu, que les artilleurs du Père-Lachaise avaient reçu ordre de la détruire ; un surveillant leur avait dit : « Tout le monde y passera, vous comme les autres. » Le meurtre des gendarmes leur avait paru légitime, en vertu sans doute du jugement par les impairs que préconisait Raoul Rigault ; celui des prêtres et surtout celui de l’archevêque les avaient indignés. Ils croyaient qu’ils seraient fusillés ; ils se comptaient de l’œil, se trouvaient nombreux, se disaient, eux aussi : — Il faut nous défendre, — et calculaient qu’en dépavant les trottoirs de la cour, ils assommeraient quelques fédérés avant d’être tués par eux.

À la quatrième section, les otages, qui avaient, en deux jours, regardé partir et n’avaient pas vu revenir