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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/414

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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

pendre ses payements, alors qu’il avait manifestement beaucoup plus d’actif que de passif. Sa fortune nette était évaluée au moins à 20 millions de francs.

À partir de ce moment, le pauvre Jecker fut contrecarré en tout, et le plus souvent on disposa de lui sans lui. Son existence ne fut plus qu’une série de tribulations. Il est triste de penser qu’il ne se trouva pas une autorité française pour prendre courageusement la défense de cet homme de bien, converti en bouc émissaire par les perfidies de maisons intéressées à sa perte.

Jecker avait souvent réclamé la qualité de Français. Il paraîtrait qu’il obtint des lettres de naturalisation en 1863. Si dans le moment ses créanciers s’en sont réjouis, ce devait être plus tard pour lui un grand malheur.

On sait avec quel odieux acharnement plusieurs journaux l’ont attaqué sous la fin de l’Empire. Il a dû beaucoup en souffrir, car, bien que d’apparence calme et froide, il avait les perceptions délicates. C’était le type du vrai négociant : parlant peu, réfléchissant beaucoup et agissant résolument. Nul ne traitait mieux que lui ses auxiliaires, qui recevaient toujours plus qu’il ne leur avait été promis. Il possédait les principales langues d’Europe, et était au moins aussi fort en minerie qu’en finances.

Pendant son dernier séjour en Europe, Jecker avait étudié avec soin un nouveau procédé d’invention allemande qui consistait à traiter le minerai d’argent sans l’emploi du mercure. Après avoir répété en Angleterre les essais qu’il venait de faire en Allemagne, il résolut d’aller exploiter avec ce même procédé une excellente mine qui lui restait dans l’État de Zacatecas. Aussitôt sa détermination connue, il trouva, à Londres même, parmi ses créanciers, des amis qui se cotisèrent pour mettre à sa disposition 500 000 francs, afin qu’il pût de nouveau tenter la fortune au Mexique.

Jecker devait encore à cette époque 10 millions de francs à trois cent vingt créanciers. Quel est l’industriel qui, en pareille occurrence, trouverait parmi ses créanciers les moyens d’aller tenter de nouveau la fortune à trois mille lieues ?

Aussitôt de retour à Paris, Jecker avait hâte d’en partir ; ses amis étaient également heureux de le savoir approvisionné et en voie de pouvoir travailler utilement. Pas un ne mettait en doute sa réussite. Mais il eut la funeste idée d’aller demander un passeport à la Préfecture de police, où il fut arrêté. Le jour de son arrestation, je l’avais attendu chez moi quelques heures, parce qu’il m’avait promis la veille de ne point partir sans prendre mes commissions pour Mexico, et que je le savais pressé de nous quitter.

Il avait pris son pied-à-terre rue Blanche, no 5, chez sa sœur, Mme Ersesser, alors absente. Je m’y rendis le lendemain matin, et on me dit qu’il n’était pas rentré depuis la veille. Je courus à la légation de Suisse. Le secrétaire de la légation mit le plus grand