Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/71

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lui-ci pivota sur ses talons, vint droit à Rigault placé entre ses deux amis, et, feignant de le reconnaître tout à coup, il lui dit : « Ah ! c’est toi ! Je suis content de te voir ; le patron est furieux ; dépêche-toi d’envoyer ton rapport, sans cela tu n’auras pas de gratification ce mois-ci. » Puis il fit volte-face et s’éloigna. Au bout de quelques pas, il se retourna, et le spectacle qu’il vit eut de quoi le faire sourire. Rigault, renversé sur le trottoir, était roué de coups par ses deux élèves, qui le prenaient sérieusement pour un mouchard. Lagrange alors lui cria de sa plus forte voix : « Bonsoir, Rigault ! » et pénétra dans la Préfecture.

Si l’on s’abusa sur son compte, il faut lui rendre cette justice qu’il ne tenta de tromper personne ; il se découvrait tout entier et montrait orgueilleusement l’eczéma de haine qui le brûlait. Il dédaignait les subterfuges familiers aux ambitieux ; il ne parlait ni d’égalité ni de liberté, encore moins de fraternité ; il disait : « Quand nous serons les maitres… quand nous serons au pouvoir ! » Dans un des procès politiques où il fut compromis, M. Le Pelletier, avocat impérial, — qu’il appela tout le temps l’accusateur public, — le recommandait, à cause de son extrême jeunesse, à l’indulgence de la sixième chambre ; Raoul Rigault l’interrompit : « Je repousse votre indulgence, car lorsque j’aurai le pouvoir, je ne vous ferai pas grâce. » Il méprisait Robespierre, qu’il appelait « un parlotteur » ; il trouvait Saint-Just sans « énergie » et Couthon « une vieille béquille ».

Dans toute la Révolution française il n’admirait que deux hommes : Hébert et Marat, un escroc et un fou. Il aspirait à les égaler : il les surpassa. La vue d’une soutane ou d’une église le mettait en fureur ; lui aussi il eût volontiers « étranglé le dernier des prêtres avec les boyaux du dernier des rois » ; jamais il ne pronon-