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rences et aime à pénétrer jusqu’au fond des choses. Elle découvrit sans grand-peine que l’attaque dont Léopold Le Hon avait été victime n’était qu’une mystification qui faisait honneur à l’imagination de son auteur.

Ce jeune homme, voulant appeler sur lui l’attention et les grâces du nouveau souverain, avait lacéré sa redingote, s’était trempé dans la crotte, s’était distribué quelques horions sans gravité, quelques égratignures sans conséquence et avait fait, dans le salon de sa mère, une entrée mélodramatique à laquelle on s’était laissé prendre. Le commissaire de police chargé de l’instruction de cette affaire tança le petit bonhomme, l’engagea à ne plus recommencer et ensevelit l’affaire dans ses cartons secrets. L’anecdote, néanmoins, fut ébruitée ; on en jasa ; un mauvais plaisant prétendit que Léopold Le Hon avait dispersé une troupe d’émeutiers à coups de parapluie et le surnomma : Riflard Cœur de Lion ; le sobriquet persista longtemps.

Le coup d’État eut des suites plus graves que les facéties d’un enfant vaniteux. On poussa hors de France bien des gens qui en constituaient la force ; des généraux — Changarnier —, des poètes — Victor Hugo —, des hommes d’État — Charles de Rémusat, Thiers —, furent expulsés et allèrent porter à l’étranger des semences de haine qui ne restèrent pas stériles. Quelques-uns furent promptement autorisés à rentrer ; d’autres ne voulurent revenir qu’après la chute du régime impérial. Pour eux, le désastre de Sedan fut une joie, hélas ! et presque un triomphe. Le 4 décembre 1851, aussitôt que la victoire — bien peu disputée — du prétendant fut assurée, tous ceux qui avaient à redouter les sévérités de l’état de siège furent saisis de terreur et se cachèrent. Jules Favre fut au nombre de ceux qui se crurent menacés et il disparut de chez lui, où personne ne vint le chercher. Il reçut asile chez un notaire, puis chez un ami, qui logeait sur le boulevard Bonne-Nouvelle. Sa réclusion, qui durait depuis plusieurs semaines, lui paraissait lourde, et il pria une personne de ses relations d’aller trouver Billault[1] et de lui demander le moyen de quitter la France. Billault répondit que, si on avait voulu arrêter Jules Favre, on aurait été le

  1. Billault (Auguste), 1805-1863. Député sous Louis-Philippe, membre de l’Assemblée constituante de 1848, président du Corps législatif après le coup d’État, ministre de l’Intérieur en 1854 et 1859, puis ministre sans portefeuille (1860-1863). (N. d. É.)