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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/180

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Hugo, Ponsard, Alfred de Musset, Pradier, Guillaume[1] faisaient les frais de la conversation et auraient pu en profiter.

Le prince Napoléon est l’homme le plus calomnié que j’aie connu ; les partis qui n’osaient s’attaquer de front à l’Empereur le vilipendèrent avec un acharnement misérable, car on savait qu’il ne tolérerait pas que des poursuites judiciaires fussent intentées en son nom. À cet égard, il est resté irréprochable ; il fut insulté plus que quiconque et jamais ne broncha. Les plus animés contre lui, dans le monde parisien, furent les orléanistes, qui s’en allaient colportant toute sorte de sornettes et débitant des invraisemblances dont les adversaires du « régime » consolaient leur rancune et nourrissaient leurs passions. Toucher à l’Empereur était dangereux ; on se rabattait sur le cousin, et Dieu sait comme on le drapait.

La légende de la couardise du prince Napoléon est de fabrique orléaniste ; elle a fait son chemin, et, quoiqu’elle ne repose que sur des mensonges, il sera bien difficile à l’histoire — à l’histoire vraie — de la réduire à néant. Les courtisans de l’Impératrice, ceux qui étaient admis au cercle intime, qui causaient familièrement avec Cochonnette et Cornichonnette, qui flattaient les instincts mauvais et rivalisaient de servilité, savaient que les médisances dont on frappait le prince Napoléon n’étaient point écoutées d’une oreille indifférente dans les petits appartements des Tuileries. L’Empereur ne les eût pas supportées, l’Impératrice les encourageait. Elle haïssait le prince qui le lui rendait bien. Lorsque le prince Napoléon prenait sur ses genoux le Prince impérial, le caressait, l’agaçait, comme on fait à un enfant, l’Impératrice, la grande maîtresse, les dames, les chambellans affectaient de surveiller ses mouvements, comme si l’on eût redouté un attentat. On poussait la défiance jusqu’à l’insulte ; il était homme à s’en apercevoir et à le ressentir. Il disait, avec un accent de gaieté qui dissimulait mal sa mauvaise humeur : « Elle croit que j’ai de l’arsenic dans mes poches. »

L’origine de la réputation que l’on fit au prince Napoléon au point de vue du courage est singulière, car elle aurait dû produire un résultat opposé. La vérité m’est connue ; elle m’a été racontée par le maréchal Vaillant, qui n’était rien

  1. Guillaume (Eugène), 1822-1905. Sculpteur, élève de Pradier, membre de l’Académie des Beaux-Arts (1862), directeur des Beaux-Arts (1878-1879) ; directeur de l’Académie de France à Rome à partir de 1890. (N. d. É.)