Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/182

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le duc de Cambridge avait quitté les troupes anglaises. L’Empereur fit droit à la requête, rappela le prince Napoléon et oublia — volontairement ou involontairement — de faire connaître les causes politiques du rappel. L’air de la calomnie, du Barbier de Séville, joué à grand orchestre, fêta le retour du prince. Tout de suite on avait changé son sobriquet de Plon-Plon en celui de Craint-Plomb, et les langues de vipère n’eurent plus de repos : « C’est lui qui a voulu revenir ; il mourait de peur ; il tremble quand il entend les coups de fusil ; il s’évanouit pour un coup de canon ; on dit qu’il a eu la dysenterie, ce n’est pas vrai, il avait la colique ; les soldats ne le saluaient même plus. »

Tout cela fut colporté, enjolivé, grossi ; l’Impératrice levait les yeux au ciel sans dire mot ou répondait doucement d’un ton de reproche : « C’est exagéré. » Le prince Napoléon, ce César déclassé, comme on l’avait nommé, paraissait inquiétant ; on le redoutait et on le sacrifia. De ce jour, les hommes haussaient les épaules et les femmes souriaient lorsque l’on parlait de lui. Il en fut mortifié jusqu’au fond de l’âme et n’en laissa rien paraître. Je ne serais pas surpris si, de cet instant, il regarda vers les bas-fonds de la démocratie, tant il avait conçu de ressentiment contre cette société qui se divertissait à le vilipender à bouche que veux-tu.

Lors de la campagne d’Italie, les bruits calomnieux devinrent des clameurs, et le crescendo éclata en tempête. Quatre corps d’armée français, pénétrant directement dans le royaume du Piémont par le mont Cenis et par Gênes, devaient attaquer de front les forces autrichiennes. Un cinquième corps, placé sous les ordres du prince Napoléon, avait pour mission de neutraliser la Toscane, les États de Parme et de Modène, afin de les empêcher de diriger un mouvement vers notre droite. À l’approche du prince Napoléon, les troupes parmesanes, modénaises et toscanes décampèrent ; une division, commandée par le général d’Hautemare, fut détachée pour surveiller Mantoue. Un parti autonomiste s’était formé en Lombardie et en Toscane pour éviter le « joug » du Piémontais et demandait la création d’un royaume d’Italie centrale, dont la couronne serait déférée au prince Napoléon. Montanelli était un des plus ardents promoteurs de ce projet et disait : « Nous parlons la pure langue italienne et nous ne nous soumettrons jamais à des Savoyards qui ne savent que le patois. » L’empereur Napoléon III et le roi Victor-Emma-