Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/199

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ouvrit la chambre de l’Empereur ; elle était vide ; mais une petite porte de communication, dont il croyait avoir la clef, était entrebâillée ; il se précipita et vit Napoléon Ier et le général de Montholon, tous deux en chemise, par terre et se gourmant à coups de poing. Ils s’étaient rencontrés à la porte de la chambre à coucher de Mme de Montholon et « s’expliquaient » sans ménagement. Je parlai de ce fait au prince Napoléon, qui me répondit : « Ce sont des cancans de portière. » Il ne pouvait, en vérité, me répondre autre chose.

S’il se taisait obstinément sur l’empereur Napoléon, en revanche, il était moins discret sur les aventures de son père, le prince Jérôme, l’ancien roi de Westphalie, qu’il aima tendrement et dont il avait gardé un souvenir ému. Un soir que j’avais dîné chez lui, en compagnie de quelques personnes de son intimité, et que le nom de Fouché, duc d’Otrante, était tombé dans la conversation, il nous fit connaître une particularité qui mérite d’être conservée. En 1815, après Waterloo, le prince Jérôme, n’ayant pu quitter Paris, s’était réfugié dans le quartier du Luxembourg, chez un cordonnier corse qui l’avait recueilli. Gendre du roi de Wurtemberg, il fit demander au comte Zeppelin, ministre plénipotentiaire de son beau-père à Paris, un passeport sous un nom supposé. Le passeport fut immédiatement accordé. Fouché, qui était ministre de la Police, apprit que le prince Jérôme se cachait à Paris, mais sans connaître précisément son lieu d’asile.

Il crut devoir en avertir Louis XVIII, qui lui répondit : « On vient de m’en donner avis ; je voulais voir si vous m’en parleriez le premier ; où est-il ? » Fouché répliqua : « Je l’ignore ; mais avant deux jours j’aurai des renseignements sur sa retraite ; si je la découvre, que dois-je faire ? — Tout simplement réunir une cour martiale, faire comparaître, condamner, fusiller ce Bonaparte ; ce sera la contrepartie de l’affaire du duc d’Enghien. » Le lendemain, le prince Jérôme sortait de Paris et se dirigeait vers l’Allemagne, en cabriolet de poste. Il crut remarquer qu’il était suivi par un individu qui faisait même route que lui et ne cherchait pas à le dépasser. Il arriva à Strasbourg : « ses papiers » étaient en règle ; il satisfit aux formalités militaires, traversa le pont de Kehl et se trouva en sûreté sur le territoire badois. Il était à peine installé, pour dîner, dans la salle banale d’une auberge, lorsqu’il fut accosté par le voyageur qui avait