Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/250

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versel, était de mettre fin aux candidatures officielles que l’on avait ouvertement pratiquées pendant l’Empire autoritaire et dont la mort ne paraît rien moins que définitive, à l’heure où j’écris, c’est-à-dire en pleine floraison de la République. Aussi, à la commission de décentralisation administrative, on s’intéressait bien plus à la politique qu’à l’administration. J’avais dit, en causant avec quelques-uns de mes collègues, après une séance, que c’était la centralisation administrative qui faisait la centralisation politique et que l’une ne serait affaiblie que si l’autre était diminuée. Mon opinion n’avait pas grand poids ; je m’en aperçus à la façon dont elle fut accueillie.

Un seul de mes collègues me dit : « Vous avez raison et nous faisons fausse route. » C’était un ingénieur des mines, que je ne connaissais même pas de nom et qui, depuis, n’a point manqué de notoriété ; c’était de Freycinet, alors partisan de l’Empire, grand admirateur d’Émile Ollivier et s’offrant sans conditions. De petite taille, svelte plutôt que grêle, de façons accortes et d’irréprochable tenue, il avait à la fois de la grâce, de la finesse et je ne sais quoi de sceptique ou d’amer qui semblait faire deviner bien des ambitions déçues. Il était intelligent, mais d’une intelligence viciée par l’instruction spéciale qu’il avait reçue. Mathématicien distingué, calculateur de l’école de Le Verrier, il appliquait aux choses de la philosophie, de la morale, de l’économie industrielle, de la politique, de la guerre, le raisonnement mathématique, méthode décevante qui, de déductions logiques en déductions logiques, mène tout droit à l’absurde. On le vit bien lorsque, à la délégation de Tours, Freycinet réduisit en formules les projets stratégiques de Gambetta et lorsque, pendant son ministère, il fit exécuter des travaux dont la France fut obérée, sans profit pour elle. La finesse de l’esprit et l’énormité des conceptions ne suffisent pas pour gouverner ; il faut y joindre le bon sens, fleur rare qui ne se rencontre point dans le jardinet de tous les hommes d’État.

La commission de décentralisation s’était divisée en sous-commissions qui se subdivisaient en comités. Pour ne pas nous laisser ignorer les matières sur lesquelles nous étions appelés à donner notre avis, on avait attaché à chaque sous-commission des auditeurs au Conseil d’État, experts en droit administratif. Celui qui était délégué, en qualité