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avaient senti derrière eux les poussées de cavalerie que Murat menait après la bataille d’Iéna, ou la galopade furieuse devant laquelle, au soir de Waterloo, la France fuyait sur la chaussée de Genappe. On rallia les corps épars qui avaient cherché refuge à Strasbourg, à Saverne, et on les rassembla au camp de Châlons, pour les reformer et leur donner de l’aplomb. Quant aux armées allemandes, la victoire avait doublé leur effectif moral et elles étaient redoutables.

Nos soldats ont été admirables[1] — je répète ici une parole allemande. Écrasés par une artillerie de portée plus longue que la nôtre, accablés par des troupes toujours renouvelées, sans réserves pour être relayés ou pour trouver un point d’appui, ils ne purent qu’être héroïques — ils le furent — et se faire tuer sans broncher, ce qu’ils firent. Afin de remédier à leur infériorité numérique, qui était désespérante, il eût fallu des prodiges de stratégie et d’habileté militaire. Le commandant en chef, l’Empereur, ne commandait pas. Le maréchal Mac-Mahon commandait mal. Notre armée était un cœur sans tête. Son courage fut impeccable, sa science nulle ; elle a été vaincue par la science et par le nombre[2]. Le

  1. Extrait du Tagbuch du Prince royal (Frédéric III), 6 août 1870 : « 80 000 Français ; j’ai 100 000 hommes. La grande résistance de Mac-Mahon, qui se retire lentement, est admirable ; mais il m’abandonne le champ de bataille. J’ai pu tout diriger avec l’aide de Blumenthal et de Gottberg.

    « À quatre heures et demie, j’ai pu annoncer ma victoire au Roi. Les mitrailleuses ont un effet incontestablement terrible dans une très courte portée. Le concours des troupes de l’Allemagne du Sud a donné de la cohésion aux différents corps ; les conséquences de ce concours seront énormes si nous avons la ferme volonté de ne pas laisser passer sans profit un pareil moment.

    « Un colonel de cuirassiers français me dit : « Ah ! monseigneur, quelle défaite, quel malheur ! J’ai la honte d’être prisonnier ; nous avons tout perdu. » Je lui répondis : « Vous avez tort de dire avoir tout perdu, car, après vous être battus comme de braves soldats, vous n’avez pas perdu l’honneur. » Il réplique : « Ah ! merci, vous me faites du bien en me traitant de la sorte. » (En français dans le texte.) Les officiers français s’étonnent qu’on leur laisse leurs épées. »

    Quatre-vingt mille Français, y compris les troupes de Douai à Wissembourg et celles de Frossard à Forbach ; or le Prince royal n’a eu à lutter ni contre les unes, ni contre les autres.

  2. Le 27 août 1870, le principal journal de Stuttgart, cherchant à réagir contre le mauvais vouloir peu déguisé de l’armée wurtembergeoise, écrivait : « Tous les éléments actifs et passifs de l’armée française s’élèvent, en chiffres ronds, à 600 000 hommes ; au cas le plus heureux, la France ne peut jeter sur le Rhin qu’une armée de 300 000 hommes. Quant aux forces allemandes, le million de soldats