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la population. Il vague entre son trône et son armée, ne sachant que faire ; il s’accroche à Mac-Mahon, qui n’ose le renvoyer, et finit par aller se faire prendre dans la souricière de Sedan.

À Paris, le ministère était en désarroi ; chacun répudiait la faute et la rejetait sur le prochain : c’est Ollivier — c’est Gramont — c’est Lebœuf — c’est le Corps législatif — c’est Benedetti — c’est tout le monde, et en réalité ce n’est personne, car nul ne consent à accepter la responsabilité. Une ruche envahie par les frelons n’est pas plus en désordre : oh ! nous étions loin de Berlin et même de la frontière. À Metz, le maréchal Lebœuf disait : « C’est cet imbécile d’Ollivier qui est cause de ce malheur ; on n’a jamais vu déclarer la guerre avec une telle inconséquence. » De son côté, Ollivier disait : « Et cet animal de Lebœuf qui me dit qu’il est prêt et que l’on n’a qu’à souffler sur l’armée prussienne pour la disperser ! » Quant au duc de Gramont, tombé du haut de son empyrée, il répétait : « Qui jamais se serait douté de cela ! »

Dans certaines régions, non pas du pouvoir, mais de l’administration, nulle illusion ne subsistait. Ceux dont la fonction était d’avoir le doigt sur le pouls de la population parisienne savaient à quoi s’en tenir. Ils étaient persuadés qu’à moins d’une victoire improbable le gouvernement, miné à la base, découronné au sommet, était comme un château branlant que le moindre heurt peut coucher à terre ; ils faisaient transporter leurs papiers en lieu sûr, envoyaient leurs familles hors de Paris et réalisaient des valeurs ; je sais même que des dispositions furent prises afin d’assurer le départ de l’Impératrice. Ces dispositions, adoptées à son insu, furent vaines, lorsqu’elle n’eut plus qu’à déserter les Tuileries, pour se soustraire à la foule qui marchait vers le palais.

Le 7 août, trois décrets parurent au Journal officiel, qui convoquaient le Corps législatif et le Sénat, mettaient Paris en état de siège et appelaient le maréchal Baraguay d’Hilliers au commandement des forces militaires réunies à Paris. On a dit que l’Impératrice et Émile Ollivier étaient opposés à la réunion des Chambres ; il m’a été impossible de vérifier l’exactitude de cette information et je la reproduis sous réserve, comme un des mille propos qui prouvent à quel point l’opinion publique était surexcitée contre le ministère et contre la souveraine. De tout ce qui se disait