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Lorsque le comte de Neipperg mourut, en 1829, elle n’avait encore que trente-huit ans ; elle était souveraine d’un petit État ; elle avait une sorte de cour. Sans contrainte de sa part, comme sans surveillance d’autrui, elle ne résista à aucun de ses caprices et donna l’exemple de scandales semblables à ceux qui devaient plus tard, en Espagne, faire chasser la reine Isabelle ; des officiers, des acteurs, des touristes, le premier venu, furent admis à des honneurs qui, dit-on, n’étaient point une sinécure. L’âge n’éteignit point ses ardeurs, et, comme pour beaucoup de gens la grandeur royale tient lieu de jeunesse et de beauté — l’impératrice Catherine en a fait l’expérience, — elle chômait d’autant moins qu’elle s’efforçait de démontrer qu’elle n’était point difficile dans ses choix.

En 1847, après l’exaltation de Pie IX, lorsque l’Italie s’agita au vent du libéralisme qui soufflait des hauteurs du Vatican, Marie-Louise voyageait en Allemagne ; le mouvement révolutionnaire se propagea jusque dans les États de Parme ; elle n’y retourna pas et s’établit à Vienne. Ses familiers l’y entourèrent et se disputaient l’influence que sa faiblesse laissait volontiers prendre à ceux qui lui plaisaient. Deux hommes alors rivalisaient près de cette femme de cinquante-six ans ; l’un était un chambellan attaché depuis longtemps à son service et qui avait pour lui le droit — le droit décevant — de l’ancienneté ; l’autre était un jeune prêtre italien, sans grand souci de ses vœux, cherchant fortune sous la soutane, jaloux du pouvoir d’alcôve qu’il exerçait et résolu à ne le partager avec personne. Il avait de la beauté et cette ardeur méridionale qui souvent cache une âme froide et habile aux calculs de l’ambition. Dans la maison de Marie-Louise, il faisait office de chapelain. Entre lui et le chambellan, la lutte était ouverte ; ils avaient échangé quelques paroles de menace et paraissaient décidés, chacun de son côté, à ne point quitter la place.

Dans la soirée du 17 décembre 1847, l’abbé manœuvra de telle sorte qu’il parvint à verser du poison dans une limonade chaude que le chambellan avait demandée. Celui-ci but une gorgée, la trouva amère et replaça le verre sur la table. Marie-Louise saisit le verre et, posant ses lèvres là où celles du chambellan avaient laissé trace, elle avala d’un trait le breuvage empoisonné. L’abbé, épouvanté, sortit précipitamment, rentra dans sa chambre et se pendit. Le lendemain