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cervelle de l’enfant, certains souvenirs qui, s’il en était besoin, lui serviraient à se faire reconnaître par des personnes dont la loyauté ne serait pas soupçonnée.

Il lui rappelait sans cesse des détails de son enfance, de ses jeux dans le jardin de Trianon, détails intimes, détails infimes, mais d’une importance capitale puisque l’on en pouvait faire sortir une constatation d’identité ; il s’attachait surtout aux choses corporelles, qui ne pouvaient être connues que de gens l’ayant directement servi et lui ayant rendu les soins qu’exige un enfant. C’est ainsi qu’il insista sur la forme grêle et pointue d’une canine qui affectait la forme d’une dent de lapin, dent de première dentition, qui n’était pas encore remplacée et que souvent l’on avait remarquée. Pour mieux fixer ces observations dans la mémoire de son fils, Louis XVI les écrivait sur d’étroites bandes de papier et les lui faisait lire. C’étaient en quelque sorte les archives familières de l’enfance, à l’aide desquelles le dauphin pourrait imposer plus tard et faire éclater sa personnalité. Mais ces notes si précieuses pour l’avenir, comment les dérober aux yeux des surveillants, où les cacher, pour que l’on puisse les retrouver un jour et les offrir en témoignage d’une vérité contestée ? C’est alors que cette histoire, si cette histoire est vraie, semble tourner à la fantaisie.

Dans la chambre que Louis XVI occupait à la tour du Temple, il y avait un vieux fauteuil qui datait du temps des grandes maîtrises. En chêne massif, avec de gros pieds, de gros bras, un dossier très élevé, il était recouvert en cuir de Cordoue. Lourd à manier, difficile à mouvoir, il était placé près d’une table et servait de siège au roi. Le cuir qui garnissait la face externe du dossier n’était point adhérent au bois ; lorsque l’on frappait dessus, cela « sonnait creux ». Louis XVI y fit un petit trou à la partie supérieure et y glissait les bandes de papier portant ses annotations, qu’il avait eu soin de rouler préalablement en forme de ces allumettes que l’on nomme des allégradors. Comme la fameuse armoire de fer du château de Versailles, le fauteuil du Temple recelait des secrets dont le dauphin pourrait s’emparer en des heures propices, afin d’en appuyer ses réclamations.

Le 21 janvier 1793, Louis XVI fut exécuté et n’entendit pas la fameuse phrase : « Fils de saint Louis, montez au Ciel ! » qui fut inventée par His de Butenval. Marie-Antoi-