Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douteuse, tenue par les époux Bancal et sise rue des Hebdomadiers, il fut contraint de signer des lettres de change, puis bâillonné, étendu sur une table et saigné « comme un cochon ». Les deux principaux assassins étaient des parents de la victime, gens considérables et considérés dans le pays, Bastide et Jaussion, qui s’étaient fait aider par des manœuvres et des contrebandiers. Une femme vêtue en homme, venue là pour un rendez-vous d’amour, Mme Manson, cachée dans un cabinet, assista à cette scène d’égorgement. On la découvrit ; Bastide voulut la tuer ; Jaussion la sauva, après lui avoir fait jurer, la main placée sur le cadavre, qu’elle garderait le silence.

La fille des époux Bancal, la petite Madeleine, âgée de cinq ou six ans, blottie dans son berceau, éveillée par le bruit, avait tout vu, en regardant à travers un trou du rideau d’indienne qui enveloppait son lit. Bastide s’aperçut de la présence de l’enfant, qui fit semblant de dormir ; il dit à la femme Bancal : « Il faut tuer ta fille ; je te donnerai quatre cents francs. » La Bancal consentit. Le cadavre de Fualdès, entouré d’une toile d’emballage, lié comme un ballot, fut porté jusqu’à un coude de l’Aveyron et jeté à la rivière ; un remous le ramena à la surface et le poussa entre des saules, où il fut trouvé, dès le lendemain matin. La rumeur fut énorme. Bancal, qui s’était chargé de tuer sa fille Madeleine, recula devant le crime. Dans la matinée qui suivit l’assassinat, l’enfant avait déjà raconté à une de ses camarades que, pendant la nuit, chez son père, on avait « saigné un monsieur bien méchant ». Mme Manson n’avait pas gardé le secret qui l’étouffait ; elle l’avait confié à son amant, le capitaine Clémandot ; celui-ci, comprenant la gravité de la révélation, n’avait point hésité à la transmettre à la justice.

On arrêta Bastide, Jaussion, les époux Bancal et les complices en sous-ordre. Deux jours après son entrée en prison, Bancal était mort ; une veuve Ginestat, témoin important, mourut subitement et sans maladie apparente. Pendant la soirée de l’assassinat, deux petits Savoyards avaient joué continuellement de la vielle autour de la maison Bancal ; on les rechercha, sans les pouvoir découvrir. Dix-neuf ans plus tard, en 1836, on retrouva leurs corps et leurs instruments enfouis dans un coin du jardin de Bastide. Mme Manson, le témoin principal, faisait des demi-aveux,