Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/101

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tremblait d’émotion et dont les yeux étaient humides, répondit : « Du moment que le général gouverneur de Paris, commandant la garde nationale et l’armée, ayant de plus à sa disposition, à sa dévotion, les vingt mille mobiles de la Seine, se met à la tête du mouvement et même du nouveau gouvernement, il n’y a plus rien, absolument rien à faire. »

On vint avertir l’Impératrice que la foule ébranlait les portes du Carrousel et du jardin des Tuileries ; que ces grilles allaient être forcées, que les voltigeurs de la garde pourraient, à coups de fusil, arrêter momentanément la masse des émeutiers qui hurlaient : « À bas l’Espagnole ! Mort à Badinguet ! » mais que ce ne serait qu’une halte dans la poussée et que le palais ne tarderait pas à être envahi. Nigra, Piétri, Conti, Chevreau, Metternich, Jérôme David adjuraient l’Impératrice de s’éloigner pendant qu’il en était temps encore. Chevreau m’a raconté que, la voyant indécise, il s’était approché d’elle et, à voix très basse, lui avait dit : « Rappelez-vous la princesse de Lamballe ! »

Elle passa dans sa chambre à coucher, après avoir fait signe à Mme Lebreton, à Jurien de La Gravière, à Metternich, à Nigra, à Conti de la suivre. Ne la voyant pas reparaître, on s’inquiéta ; Cossé-Brissac entra chez elle ; il y trouva une femme de chambre espagnole qui pleurait et dit : « Elle est partie. » Cossé-Brissac revint dans le salon, et, comme aux heures de cérémonies solennelles, il dit : « Messieurs, Sa Majesté l’Impératrice régente n’étant plus au palais, vous pouvez vous retirer. » On s’en alla. Les trois chambellans descendirent ensemble le grand escalier, après avoir allumé une cigarette ; Lezai-Marnésia, avisant le suisse qui, le tricorne en tête, gardait toujours le vestibule, lui dit : « Mon ami, posez votre hallebarde ; tout est fini. » Il était alors quatre heures moins un quart.

Précédée par l’amiral Jurien de La Gravière, qui portait un trousseau de clefs, appuyée sur le bras de Mme Lebreton, escortée à droite et à gauche par Metternich et Nigra, suivie par Conti, l’Impératrice traversa le pavillon de Flore, la salle des États, la grande galerie de tableaux et les musées du Louvre, la galerie d’Apollon, descendit un petit escalier tournant qui aboutit sous la voûte placée en face de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. L’amiral Jurien de La Gravière avait successivement ouvert toutes les portes. Arrivée au dernier palier, elle le congédia. Comme il insistait pour la