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plusieurs cabarets où il fut bien accueilli, car, à Trouville, tout le monde connaissait le « milord ».

En voyant cette effervescence des esprits et ce désordre, il fut inquiet. Si la présence de l’Impératrice à son bord venait à être seulement soupçonnée, on pouvait avoir un malheur à redouter, dans l’état d’exaltation où la triple ivresse de l’alcool, de la révolution et de la guerre avait mis les têtes. C’était un homme de résolution et qui ne s’arrêtait guère aux demi-moyens. Il revint à son yacht, réunit l’équipage et dit : « Tout à l’heure, l’Impératrice des Français viendra parmi vous se confier à votre loyauté ; si une agression était tentée contre elle, vous vous souviendrez qu’elle est sous la sauvegarde du pavillon de la vieille Angleterre et vous la protégerez, dussiez-vous périr. » Simplement les matelots répondirent en jurant de faire leur devoir. On rassembla quelques armes, des barres d’anspect, et on attendit.

Vers onze heures et demie, il se produisit un incident qui a été fort commenté et sur lequel la clarté n’a jamais été faite. Un jeune homme de nationalité russe, avec lequel Sir John Burgoyne avait échangé quelques paroles de politesse au casino de Deauville, se présenta accompagné d’un personnage inconnu, de façons communes et obséquieuses. Il demanda la permission de visiter le yacht. L’heure était mal choisie et indue. Sir John éprouva quelque défiance, mais s’empressa de faire lui-même les honneurs de son bateau afin de bien laisser constater que l’on n’y découvrirait rien d’anormal. La curiosité fut excessive et n’épargna aucun des recoins du navire, mais elle fut déçue ; rien, absolument rien ne put la mettre en soupçon. On se quitta, après avoir bu un verre de sherry.

Un matelot suivit ces visiteurs nocturnes ; ils se dirigèrent vers Trouville en remontant les quais de la Touques. Sir John eut un souci de moins, mais il resta persuadé qu’il avait eu affaire à des gens de police, chargés de surveiller les ports où l’Impératrice pouvait s’embarquer. Le fait me semble douteux ; cependant je crois savoir que des ordres avaient été expédiés dans ce sens : voulait-on s’assurer du départ, ou s’emparer de la personne ? Je l’ignore ; mais il est probable que l’on voulait simplement avoir la preuve que l’Impératrice avait quitté la France.

Je copie le journal du bord : « Mercredi 7 septembre 1870, minuit cinq minutes. — Descendu sur le quai, et peu d’ins-