Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sant enfin avec certitude le lieu de refuge de celle dont ils étaient les amoureux platoniques.

Le palais des Tuileries et le Palais-Royal étaient déserts. Les Bonaparte qui en avaient été les hôtes étaient emportés à leur tour par l’orage chronique auquel ne purent résister ni les Bourbons, ni les Orléans. L’Empereur, prisonnier de guerre, se comparait peut-être au roi Jean ou à François Ier et promenait sa mélancolie sous les ombrages témoins des bombances de son oncle Jérôme ; l’Impératrice réunie à son fils, qui pleurait en demandant à aller retrouver son père, cherchait une demeure où prendre pied et découvrait à Chislehurst la maison de Camden Place, que lui céda un ancien protecteur de Miss Howard, dont Napoléon III avait été l’amant. Le prince Napoléon, plus calomnié que jamais, ayant échoué dans la mission que l’Empereur lui avait confiée près de Victor-Emmanuel, s’était retiré en Suisse, dans sa villa de Prangins, où sa femme, la princesse Clotilde, toujours résignée, toujours perdue dans les contemplations intimes de la foi, venait le rejoindre, le 10 septembre, pendant qu’une certaine comtesse de Canisy, plus forte de corsage que d’intelligence, s’installait à Genève, afin de le désennuyer.

Ainsi finit ce règne, qui avait mal commencé et qui se termina plus mal encore. Aux heures de la plus haute puissance de Napoléon III, lorsque, après la guerre de Crimée et le traité de Paris, il était maître en Europe, on a dit de lui : « C’est une incapacité méconnue. » C’est un mot spirituel comme la France en est prodigue, mais la fin de l’Empire le justifia. Quelles qu’aient été ses indécisions, ses observations, ses rêveries et ses fautes, il ne méritait pas les injures dont, après la défaite, il fut accablé. La nation ne s’aperçut pas qu’en vomissant un torrent d’insultes contre le chef qu’elle avait choisi, acclamé quatre fois, auquel elle avait obéi sans effort, elle s’insultait elle-même, car elle l’avait encouragé dans les sottises qui nous ont perdus. Les nations ne raisonnent pas, je le sais, elles sentent et s’emportent dans des haines qui, trop souvent, n’ont pas plus de raison d’être que leur engouement.

Cette injustice ne frappa point seulement le souverain, elle flagella notre armée. Après les batailles disproportionnées où nous avons succombé, nos pauvres soldats, qui n’avaient pu que se faire tuer, furent traités de « capitu-