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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/155

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réalité d’une situation déjà désespérée n’apparaissait qu’à travers des nuages ; on se la figurait, mais on ne la voyait pas. Pour la masse de la population, inculte et crédule, l’Empire était la cause de tout le mal ; la cause disparue, l’effet devait cesser de lui-même ; l’Empire ayant été vaincu, la République ne pouvait être que victorieuse ; c’est ainsi que raisonnent les peuples et les enfants. Bien peu de personnes, à cette heure, furent assez sages pour reconnaître la vérité et demander que l’on terminât une guerre qui ne pouvait plus être qu’une série de désastres.

Assez mortifié de sa déconvenue, Jules Favre rentra à Paris. Il fut obligé de traverser les lignes allemandes, là où il ne les avait pas encore aperçues, et il put reconnaître que Bismarck ne l’avait point trompé ; Paris était investi, refermé sur lui-même, forclos de la France et de l’Europe ; s’il chercha les douze cent mille hommes qui, selon lui et les stratèges qu’il avait consultés, étaient indispensables pour entourer l’enceinte de la ville, il ne les trouva pas, car ils n’y étaient point, tant s’en faut. Comment les mouvements de l’armée d’invasion furent-ils si rapides qu’elle put s’emparer, presque sans coup férir, de toutes les positions qui dominaient la ville ; comment l’ennemi n’a-t-il pas eu à renverser, de haute lutte, les fortifications qu’il était élémentaire d’élever sur ses pas ? Question douloureuse, à laquelle il faut répondre que, si la révolution du 4 Septembre a neutralisé les sympathies que l’on pouvait nous témoigner en Europe, elle a paralysé la défense de Paris en entraînant à des réjouissances patriotiques les ouvriers auxquels on l’avait confiée.

La relation de l’État-Major allemand est explicite : « On devait englober dans la zone de défense les hauteurs qui protègent et dominent les forts de Montrouge, de Vanves et d’Issy sur la rive gauche de la Bièvre ; mais les travaux marchaient avec une telle lenteur qu’à l’apparition des Allemands on se voyait contraint d’abandonner ces importantes positions. Des travaux analogues avaient été entrepris au Sud de Bagneux, au moulin de la Tour, à Notre-Dame de Clamart, à Meudon, au Sud et à l’Est de Sèvres, au Nord de Saint-Cloud[1]. » Les travaux avaient en effet « marché

  1. Der deutsch-französische Krieg (relation de l’État-Major allemand), 2e partie, 10e livraison, p. 40.