observée, j’ai pu recueillir bien des impressions qui m’ont été précieuses et constater que, malgré nos défaites, la France n’est pas sans inspirer des craintes à l’Allemagne.
Cette année même, 1887, le général de Loe est venu me voir ; le temps, qui était pluvieux, ne le conviait sans doute pas à la promenade, car il est resté quatre heures chez moi, en compagnie de Guillaume de Pourtalès. Nous en sommes arrivés à parler de la guerre franco-allemande, sujet où je retombe involontairement et qui ressemble à une blessure toujours saignante à laquelle on ne peut s’empêcher de toucher. Non seulement de Loe a fait la campagne de France, mais il l’a étudiée théoriquement, car il a été chargé, je crois, par le feld-maréchal de Moltke, de reviser la relation qu’en a faite le grand État-Major allemand. La conversation ayant glissé vers Gambetta, il m’a dit : « Nous avons été surpris de ses conceptions stratégiques, qui, le plus souvent, ont été remarquables ; elles étaient de nature à nous causer de graves préjudices. Mais il a voulu trop faire ; la confiance qu’il avait en lui a neutralisé en partie les mouvements qu’il avait imaginés. Il en a prescrit le mode d’exécution, au lieu de l’abandonner simplement à vos généraux, qui étaient sur le terrain et qui seuls étaient en mesure de juger de l’opportunité et de la direction des opérations. Vous aviez des hommes de guerre de premier ordre, le général d’Aurelle de Paladines qui nous a fait reculer à Coulmiers, l’amiral Jauréguiberry dont la ténacité nous a parfois déroutés, Chanzy surtout, Chanzy qui, par sa retraite sur la Loire, a témoigné de qualités militaires que nous avons tous admirées. Pourquoi imposer à de tels hommes le détail des opérations ? Il suffisait de leur indiquer l’objectif et il fallait s’en rapporter à eux pour l’atteindre. C’est presque toujours en se conformant aux instructions secondaires de Gambetta qu’ils ont échoué, là où ils auraient pu réussir s’ils avaient été laissés à eux-mêmes. On dirait qu’entre ses conceptions et les ordres expédiés aux chefs de corps il y a un nuage qui rend tout obscur et empêche l’action de concorder à la pensée. D’Aurelle de Paladines a été immobilisé, Chanzy a été paralysé, Bourbaki a été perdu par les ordres auxquels ils ont dû se conformer. »
Cette opinion du général de Loe a une grande valeur et m’a beaucoup frappé. Oui, un nuage fut interposé entre Gambetta et les généraux ; ce nuage porte un nom ; c’est