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a pas autre chose à faire. » Je cite textuellement cette phrase, telle que je l’ai entendu répéter, au mois de décembre 1872, par Ernest Picard, qui s’en amusait beaucoup. Donc, l’on s’ajourna patriotiquement : à la première défaite !

Gabriel Delessert, qui fut le dernier préfet de Police de la monarchie de Juillet et dont la probité était imperturbable, me disait un jour : « Lorsqu’un complot est préparé par deux personnes, la police le connaît souvent ; lorsqu’il est préparé par trois personnes, la police le connaît toujours. » Je donne cette parole pour ce qu’elle vaut, comme elle m’a été dite. Sans y attacher plus d’importance qu’il ne convient, on peut s’imaginer que les conciliabules de la rue de la Sourdière n’avaient point de secret pour les Tuileries. Là, on se sentit si menacé que l’on voulut dresser une contre batterie, afin de mettre d’implacables adversaires dans l’impossibilité de nuire, et il fut question d’un coup d’État. On le discuta, le 15 et le 16 août, dans le Conseil des ministres, auquel Piétri fut convié. On reprenait en partie le projet qu’Émile Ollivier avait élaboré, le 8, aussitôt qu’il eut confirmation du désastre de Wœrth et qu’il se vit contraint à convoquer le Corps législatif.

On devait arrêter une vingtaine de députés, une trentaine de journalistes, quelques chefs révolutionnaires dont on redoutait l’énergie. Le coup serait fait la nuit, les prisonniers, conduits immédiatement au chemin de fer, seraient mis en wagon, sous escorte armée ; le train, lancé à toute vitesse, les conduirait à Cherbourg où ils seraient embarqués sur une frégate qui se tiendrait au large pendant la durée de la crise et, au besoin, pendant la durée de la guerre. Ce projet, qui, bien probablement, n’eût rencontré que peu d’obstacles, si l’on eût tenté de le mettre à exécution, séduisait fort l’Impératrice. Elle était convaincue que le Conseil des ministres l’adopterait sans hésitation et s’empresserait à le faire réussir. N’était-elle pas régente et ne lui devait-on pas obéissance ? Puis Jérôme David était là, ce héros dont le dévouement aurait pu prendre un autre nom, cet homme hardi, entreprenant, se plaisant au danger et dont le courage ne reculerait devant aucun effort, devant aucun sacrifice, pour sauver sa souveraine. Est-ce à lui qu’elle pensait, lorsqu’en 1878, à Chislehurst, elle me disait : « Il n’est pas au monde un homme, un seul, sur lequel on puisse compter » ?

Je n’ai pas besoin de dire que je n’ai pas sous les yeux les