la prise de Sébastopol. Ainsi raisonne la politique, ainsi ne peut raisonner la justice.
Il était naturel, il était même indispensable que la France, qui était la nation victorieuse en Crimée, fût représentée au Conseil où l’on allait discuter la valeur d’un traité imposé par elle. Lord Granville désira que Jules Favre vînt à Londres, et celui-ci écrivit à Bismarck, pour réclamer un sauf-conduit ; le chancelier du roi de Prusse répondit : « Votre Excellence semble supposer que, par suite d’une demande du Cabinet anglais, je tiens à sa disposition un sauf-conduit destiné à sa participation à la conférence de Londres. Cette supposition est erronée. Il m’aurait été impossible de donner suite à une négociation officielle qui aurait pour base la reconnaissance du droit du Gouvernement de la Défense nationale d’agir au nom de la France, sans être préalablement reconnu, au moins par la nation française elle-même[1]. »
La lettre était d’une insolence rare ; elle signifiait à Jules Favre qu’il ne représentait qu’un gouvernement d’occasion et que si on l’admettait à la Conférence de Londres, ce ne pouvait être qu’en dérogation aux usages diplomatiques. Jules Favre se le tint pour dit, et c’est la vraie cause, je crois, qui l’empêcha de profiter du laissez-passer que Bismarck, sous la pression de l’Angleterre et de la Russie, s’était décidé à lui accorder. Quoiqu’on ait fort argumenté alors à ce sujet et que l’on ait blâmé Jules Favre d’être resté à Paris, quand il pouvait aller à Londres plaider en notre faveur, je crois, sans même tenir compte des difficultés soulevées par toute la diplomatie allemande, que sa présence à la Conférence eût été inutile : Paris succombait ; Jules Favre le savait mieux que personne et Bismarck n’en doutait pas.
- ↑ Tableau historique de la guerre franco-allemande, 1 vol. in-8o, Berlin, 1871. Annexe : « Pièces diplomatiques. Réponse du comte de Bismarck, Versailles, 16 janvier 1871 », p. 449.
Cette lettre est cruelle. Après avoir dit à Jules Favre qu’il a, dans Paris, à défendre des intérêts plus importants que l’article II des stipulations de 1856 concernant la mer Noire, Bismarck ajoute : « Ces considérations ne me permettent pas de supposer que, dans la situation critique que vous avez si puissamment contribué à créer, vous voudrez vous priver de la faculté de coopérer à une solution pour laquelle votre responsabilité se trouve engagée. » Au cours de son entrevue à Versailles avec Bismarck, Jules Favre le remercia de cette lettre et lui dit : « Vous m’avez rappelé à mon devoir. » (Voir : Moritz Busch, Le comte de Bismarck et sa suite pendant la guerre de France, 1870-1871, trad. de l’allemand, Paris, 1879, 1 vol. in-18.)