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démène et voudrait que l’on fît « quelque chose », Trochu déclare que le seul moyen de convertir la garde nationale à l’idée d’une capitulation, devenue indispensable, est de la conduire en face des Allemands et de lui faire tuer 25 000 hommes. On se récria, il reprit : « La garde nationale ne consentira à la paix que si elle perd 10 000 hommes. » Le général Le Flô, ministre de la Guerre, ne répondit qu’une parole, mais qui, sur ses lèvres, était significative : « Il n’est pas facile de faire tuer 10 000 gardes nationaux ; je ne m’en chargerais pas. »

Trochu reconnaît que les rapports qui lui ont été transmis sur certains bataillons sont déplorables ; il y a de bons et de mauvais éléments, mais les mauvais paralysent les bons. Clément Thomas, commandant en chef de cette garde nationale, qui devait l’assassiner, le 18 mars, rue des Rosiers, sur les hauteurs de Montmartre, est interrogé et répond : « Il y a beaucoup de charlatanisme dans cet étalage de courage de la garde nationale ; déjà, depuis qu’elle se doute qu’on va l’employer, son enthousiasme s’est bien refroidi ; il ne faut donc pas se faire d’illusion de ce côté. »

On ne se faisait aucune illusion, mais il fallait convaincre, par un argument irrésistible, la garde nationale que l’on n’avait plus qu’à traiter ; c’est pourquoi on livra la bataille de Buzenval, bataille perdue d’avance, au succès de laquelle personne ne crut en conseil du gouvernement, et qui n’avait d’autre but, qui ne pouvait avoir d’autre résultat que de servir de préliminaire à un armistice. Quelle diplomatie, quelle habileté gouvernementale que celle qui, pour se préparer à traiter, n’a d’autre moyen que d’essayer de faire tuer 10 000 hommes dont la mort sera sans utilité ! Aux yeux de l’histoire, le général Trochu se lavera difficilement de ce fait, qui est consigné dans les procès-verbaux des délibérations du Gouvernement de la Défense nationale.

Le 19 janvier, à l’affaire de Buzenval, dont les dispositions semblent avoir été mal conçues et mal exécutées, on ne perdit ni 25 000, ni 10 000, ni même 1 000 gardes nationaux, mais la France perdit Henri Regnault[1] et Gustave Lambert[2] ;

  1. Regnault (Henri), 1843-19 janvier 1871. Peintre, grand prix de Rome en 1866. (N. d. É.)
  2. Lambert (Gustave). Capitaine de la marine marchande, il avait conçu le projet d’une expédition au Pôle Nord. Capitaine de la garde nationale en 1870, il démissionna, s’engagea comme simple