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à quelques milles allemands en arrière, du côté de Falkenberg ou de Sarrebruck. De cette façon, il nous resterait encore deux cents millions. Il ne me plaît pas de voir dans ma maison tant de Français qui n’aimeront pas à y être. Il en est de même pour Belfort ; mais les militaires ne voudront pas perdre Metz et peut-être ont-ils raison[1]. »

Ce sont là deux graves témoignages qui semblent prouver que Metz aurait pu rester française, à la condition sans doute d’être démantelée et de devenir ville ouverte. Voici, d’autre part, ce que j’ai appris par le lieutenant-colonel Sommerfeld, attaché à la personne du Prince royal pendant la guerre de France ; il devait, m’a-t-il dit, le renseignement à l’un de ses camarades, officier de l’État-Major général, nommé Winterfeld, qui était de service à la disposition des plénipotentiaires, le jour où le sort de Metz fut définitivement résolu. Thiers argumentait : « La Lorraine est une terre française ; elle n’a rien d’allemand que le souvenir de la domination autrichienne. Pourquoi voulez-vous la prendre ? » Bismarck écrivit au crayon sur une feuille de papier : « Veuillez me dire d’un mot quelle est pour nous la valeur de Metz. » Il plia le papier, sans le cacheter, fit appeler l’officier de service et le lui remit, avec ordre de le porter au feld-maréchal de Moltke. Celui-ci répondit également au crayon : « Metz représente pour nous une armée de 100 000 à 120 000 hommes. » L’officier ne se fit pas faute de lire la question et la réponse ; c’est ainsi que je les ai connues.

Bismarck, en présence de l’avis du comte de Moltke, dit à Thiers : « Je ne puis vous céder Metz ; donc je le garde avec le territoire où nous avons livré bataille et où nos soldats sont tombés. » Je tiens cette version pour hors de doute. Elle ne contredit en rien la parole qu’à la stupéfaction générale et à l’indignation des chefs d’armée le prince de Bismarck a prononcée, à la tribune du Reichstag, le 11 janvier 1887 : « En 1870 (il a voulu dire en 1871), il faut que je le dise franchement, j’étais opposé à l’annexion de Metz ; mais j’en ai référé à nos autorités militaires, avant d’adopter une résolution décisive. M. de Moltke me répondit : « Nous pouvons nous passer de Belfort ; mais céder Metz, ce serait donner un avantage de 100 000 hommes aux Français dans la prochaine

  1. Le Comte de Bismarck et sa suite, par Moritz Busch, p. 509.