Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/286

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je ne pourrais que désapprouver cette aventure, qui serait de conséquence grave ; je n’y donnerai jamais les mains, vous pouvez en avertir le général Fleury. » Le Chancelier n’était pas versatile, comme on l’a dit alors à Camden-Place ; il était logique. Il voulait bien voir sur le trône de France un vieillard affaibli, malade, rêveur et sans énergie ; mais il ne lui convenait pas d’entrer en relations politiques avec un enfant animé de toutes les ardeurs, de toutes les intempérances d’un patriotisme exalté, d’autant plus dangereux qu’il était le filleul du pape et qu’il serait dirigé par une mère superstitieuse, catholique passionnée, prête à tout pour combattre le Kulturkampf. C’était l’heure où Bismarck jurait, par les dieux immortels, qu’il n’irait point à Canossa. Il ne s’en cacha pas, du reste, car, parlant de l’impératrice Eugénie, il dit : « Elle déchaînerait contre nous une tempête de curés. » La réponse était telle qu’il n’y avait plus à y revenir et que l’on n’y revint pas.

Pour épuiser le sujet, j’ai anticipé sur les événements ; celui que l’on avait préparé touchait à son dénouement, qui ne répondit guère aux espérances dont on s’était grisé. Le prince Napoléon, qui, en cette circonstance, comme en tant d’autres, fut le confident de la pensée secrète de l’Empereur, avait été, dans les premiers jours du mois de décembre 1872, à Camden-Place, pour arrêter les dernières dispositions du plan dont l’Impératrice ne soupçonnait même pas l’existence, car on se méfiait de sa frivolité et de ses indiscrétions. Les deux cousins, qui devaient se montrer et revenir côte à côte, faisant cause commune au nom de la « légitimité napoléonienne », étaient tombés d’accord et avaient fixé le jour de l’action définitive au 31 janvier 1873. Voici quelles étaient les résolutions que l’on avait adoptées.

Le prince Napoléon quittait l’Angleterre, emportant dans ses bagages l’uniforme militaire de l’Empereur[1]. Celui-ci s’embarquait aussi secrètement que possible et gagnait la Hollande ; puis, à travers l’Allemagne et la Suisse, il se rendait à Prangins, chez le prince Napoléon, qui possède là une propriété faisant partie de l’ancien domaine de Joseph, devenu comte de Survilliers. Il y était attendu par plusieurs généraux, partisans de l’Empire et prévenus au dernier

  1. Cet uniforme, qui est celui de général de division, sauf que la couronne impériale remplace les trois étoiles des épaulettes, est resté à la villa de Prangins, où je l’ai encore vu au mois d’août 1887.