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la route en voiture. La fatigue fut telle qu’il fut pris d’un accès de fièvre qui dura trois jours. Ce qui se passa dans son âme n’est pas difficile à deviner : « Montrer à l’armée, à la population un souverain impotent, réclamer le trône du fond d’une calèche, parce que l’on ne peut plus le reconquérir à cheval, faire rééditer contre un Bonaparte toutes les sornettes dont on avait, en 1814, égayé le public, aux dépens de Louis XVIII, demander le sceptre et se voir offrir des béquilles, cela ne peut pas être et ne sera pas. »

Il savait qu’il avait la pierre et il comprenait maintenant, mais trop tard, pourquoi il souffrait depuis plusieurs années et pourquoi ses stations à cheval, pendant la campagne de 1870, avaient été pour lui un véritable martyre. Il voulut, coûte que coûte, pouvoir faire bonne figure au milieu de son état-major ; cavalcader devant ses régiments de dragons et descendre les Champs-Élysées, comme au bon temps, droit en selle, une main sur les arçons et, de l’autre, saluant la foule. Il résolut de se faire opérer.

Il avait alors soixante-quatre ans. Ce n’est pas l’âge de mourir de vieillesse, mais c’est l’âge d’être prudent et de ne point tenter, sans nécessité absolue, les épreuves que seule la jeunesse est presque assurée de traverser sans péril. Sa constitution était affaiblie, ou plutôt épuisée. Les péripéties de son existence n’avaient point été sans répercussion sur la résistance nerveuse, qui, chez lui, avait sensiblement diminué. Il ne s’était guère surveillé, et sa passion pour les femmes l’avait parfois entraîné, sinon à des excès, du moins à des fatigues qui avaient laissé trace dans l’organisme ; les oscillations du pendule vital n’avaient plus d’ampleur ; il avait bu toute sa provision d’eau de Jouvence. Il eût pu traîner encore longtemps, mais à la condition d’éviter toute émotion, tout accident, tout incident même qui eût pu le troubler. En un mot, pour continuer à vivre, il eût fallu capitonner sa vie.

L’opération de la lithotritie, qui est des plus faciles, fut faite et réussit. On le croyait sauvé, son calme faisait croire à l’entrée prochaine en convalescence ; ce n’était plus qu’une affaire de quelques jours. Bientôt il sera debout et pourra reprendre l’exercice du cheval qui lui plaît tant. Le 9 janvier 1873, on s’aperçut que le pouls s’affaiblissait, que la respiration devenait hésitante, que les yeux regardaient et ne reconnaissaient plus. On envoya en toute hâte à