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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/310

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cutif, en vertu d’un vote émis par les représentants de la France. On l’avait choisi, après le 24 mai, avec la ferme intention de s’en débarrasser le plus promptement possible ; il était, dans la pensée de la majorité, destiné à ne faire qu’un intérim, juste le temps nécessaire pour rembourrer le trône et y faire asseoir Henri V. Or, Henri V ne s’étant pas assis, parce que la couleur des draperies du baldaquin royal ne lui plaisait pas, on garda le maréchal, faute de mieux. Plus d’une fois, au milieu des conflits qui bruissaient autour de lui et le poussaient vers des chemins où il refusait de mettre le pied, il a dû regretter la journée du 8 septembre 1855, alors qu’à la tête de ses troupes il gravissait les talus de la tour Malakoff. Manœuvrer au milieu d’un ouragan de mitraille, n’échappant à la mort que par miracle, lui paraissait plus facile que de se reconnaître dans le tissu d’intrigues dont il était enveloppé. Je n’ai jamais pensé à cette période de la vie de ce vieux brave sans être ému de compassion ; car si jamais homme ne fut pas fait pour le métier qu’on lui avait imposé et que son patriotisme accepta, c’était lui.

Le duc Decazes, qui fut le ministre, le très habile ministre des Affaires étrangères du maréchal Mac-Mahon, disait : « Son imbécillité passe notre espérance. » C’est un mot facétieux, mais c’est un mot injuste, à moins que par « imbécillité » on n’entende une probité qui repousse les compromis, dédaigne les médiocres dessous des politiciens, ne comprend d’autres finesses que celles de la discipline et qui reste à un poste politique comme on reste à un poste de combat, c’est-à-dire jusqu’à ce que la position ne soit plus tenable pour un homme d’honneur. Pauvre maréchal ! Lorsqu’il criait : « En avant ! » comme à l’heure des batailles, chacun lui montrait une direction différente ; il s’arrêtait découragé et disait : « Où faut-il aller ? » Jamais saint Antoine, dessiné par Callot, ne fut tiré par plus de diables en sens contraire. Il sut ne pas quitter le chemin qu’il s’était tracé, et ce n’est pas un mince mérite ; c’est du moins au milieu des hommes de ce temps-là une originalité dont on aurait dû lui savoir gré. Il avait l’intelligence courte et lente ; il s’effarouchait de toutes les difficultés qu’il faut tourner, qu’il faut vaincre, non pas à force déployée, mais par la patience et par l’astuce ; il s’en irritait, les trouvait déloyales, et cependant elles sont la monnaie courante du gouvernement parlementaire, qui ne vit que de compromis ;