du Conseil des ministres. De ce jour, Gambetta fut compromis, il mécontenta le Corps législatif, qu’il menait trop vertement, et inquiéta l’opinion publique, qui, à tort ou à raison, lui prêtait des intentions belliqueuses. Il donna sa démission et sortit diminué du pouvoir qu’il avait exercé avec maladresse. Sa mort ne résout aucun problème et en crée de nouveaux. Il ne m’inspirait aucune confiance, et cependant je crains que nous n’ayons à regretter qu’il ait si tôt disparu. » On transporta le corps de Ville-d’Avray au Palais-Bourbon et, le 6 janvier 1883, au jour des Rois, on lui fit de magnifiques funérailles. Appuyé contre un des candélabres de la place de la Concorde, j’ai vu passer le char funèbre et les longues théories officielles qui l’accompagnaient. Voici la note que j’ai prise en rentrant chez moi :
« Je viens d’assister aux obsèques de Gambetta, j’ai regardé défiler le cortège, énorme fantaisie de carnaval macabre, qui a laissé la population froide et parfois même l’a rendue gouailleuse. On admirait les piqueurs à cheval de l’administration des pompes funèbres, les immenses couronnes enrubannées, les bannières des corporations ; on applaudissait les sauveteurs, l’École polytechnique ; quand une fanfare jouait des airs lugubres, on criait : bis ! Du défunt, pas un mot ; on était là à un spectacle et l’on tâchait de s’y amuser. L’effort accompli pour donner quelque chose de grandiose à ces funérailles, d’où toute manifestation religieuse avait été exclue, n’a pas été heureux. Derrière l’énorme catafalque, qui était théâtralement beau, on avait réuni tous les corps d’État, toutes les députations, et la magistrature, et l’Institut, et l’armée, et les écoles, et tout ce que l’on avait pu grouper sous une dénomination distincte ; on a enterré ce vaincu comme s’il eût été victorieux, comme Berlin n’enterrera ni Moltke ni Bismarck. On a dépassé le but, et bien des gens ont ri de cette marche triomphale, sans dignité. C’est Gambetta que l’on emportait à sa demeure dernière ; c’eût été le bœuf gras faisant sa promenade traditionnelle, il n’y aurait ni plus de monde, ni moins de recueillement. C’était bien le convoi d’une idole, mais rien que d’une idole qui avait de l’argile aux pieds et peut-être à la tête. La chapelle est vide ; qui va-t-on hisser sur le piédestal des adorations ? Le vers d’Alfred de Musset ne me sort point de l’esprit ; je le répète : c’est comme une obsession :