Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/351

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de Juin, j’ai vu le Gouvernement de la Défense nationale ne rien défendre, entraîner la France vers la ruine et nous livrer à la Commune. Pour un homme qui a passionnément et silencieusement aimé son pays, il n’y a pas lieu d’être satisfait, et je ne le suis pas. Ceux qui me liront trouveront les faits accomplis et n’en auront point la responsabilité : nous, nous les avons vus s’accomplir et nous en avons subi la douleur dont aucun détail ne nous a été épargné. Au temps de mon enfance, j’ai vu de vieux hommes qui ne pouvaient sans pleurer parler de Waterloo ; je ne puis, à l’heure qu’il est, penser à Sedan et à ce qui s’en est suivi sans me sentir étouffé. Que ceci serve d’excuse à ce que mes appréciations ont de trop aigu. Je n’ai pas l’âme d’un Peau Rouge et je n’ai pu chanter lorsque j’étais attaché au poteau du supplice.

On a dit que la Révolution française était une explosion qui avait éclairé le monde et fait sauter la France. Ce n’est qu’une boutade. La France est en avant des autres nations européennes de trente ou quarante ans, pas plus. C’est un pionnier ; elle défriche. Le sentier qu’elle trace à travers la forêt des préjugés, des illusions, des revendications, des théories, a bien des fondrières ; elle y tombe, mais elle se relève et continue son œuvre. Elle touchera au but qu’elle a visé ; derrière elle, les peuples s’engageront avec confiance sur cette route où déjà ils ont fait les premiers pas et, une fois de plus, avec gratitude, — avec jalousie peut-être, — ils reconnaîtront que c’est elle, la grande calomniée d’aujourd’hui, qui tient le flambeau et court en avant, pour le plus grand bien de tous, quitte à s’égarer quelquefois.

La monarchie, telle que l’a voulue la France monarchique, s’est-elle donc faite en un jour ? Il a fallu les horreurs de la guerre de Cent Ans, des rois prisonniers, des rois fous, des guerres civiles greffées sur la guerre étrangère, il a fallu le miracle de la « bonne Lorraine » pour que Charles VII fût roi, pour que, le premier de tous ceux qui ont porté la couronne, il eût une armée permanente et, par conséquent, un budget permanent, c’est-à-dire les instruments essentiels de la souveraineté. Et depuis lui jusqu’à Louis XIV, qui fut le premier roi de France au sens précis, au sens rêvé du mot, que de luttes, que d’insurrections, que de massacres, que de misères, que de ruines ; et combien de fois l’on a cru périr, pour se redresser plus vigoureux, plus alerte, plus hardi ! Si la monarchie a eu tant de peine à se constituer, à bâtir son