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un repos que les étapes forcées ne rendaient point inutile[1].

Le général de Failly, qui commandait le cinquième corps de l’armée de Mac-Mahon, arriva le 30 août à Beaumont, où, sans qu’il s’en doutât, il était attendu par le premier corps bavarois appartenant à l’armée du Prince royal et placé sous les ordres du général von der Tann. Le général de Failly s’était distingué à Mentana par un mot intempestif : « Les fusils Chassepot ont fait merveille. » Cette expression au moins déplacée lui fut reprochée avec amertume. S’il avait la parole malheureuse, ses actions ne valaient guère mieux. À la journée de Wœrth, son corps d’armée était posté à distance égale de Frossard et de Mac-Mahon ; il fut, comme l’âne de Buridan, immobilisé entre deux points qu’il pouvait secourir et vers lesquels il ne marcha pas, sous prétexte ou par la raison qu’il avait mal lu un nom de lieu dans une dépêche de pressant appel que le duc de Magenta lui avait adressée. Ses troupes auraient dû être intactes, mais, pour les amener des Vosges à Châlons, il leur avait fait faire tant de marches et de contremarches qu’elles étaient harassées, avaient semé bien des traînards au long des routes, perdu leurs bagages et qu’elles se sentaient démoralisées par les fatigues excessives qu’on leur avait imposées. Néanmoins, au matin du 20 août, elles avaient encore une apparence respectable ; le soir, ce n’était plus qu’une bande dispersée, où les bataillons se cherchaient sans se retrouver.

Le général de Failly, plein de confiance, en pays ami, ne sachant rien des manœuvres allemandes, marchait en masse compacte, avec l’insouciance française, n’étant pas plus éclairé par sa cavalerie que Douai ne l’avait été à Wissembourg, Mac-Mahon à Frœschwiller, Frossard à Forbach, l’Empereur à Borny, lorsque, le 14 août, il franchit la Moselle. On arriva vers onze heures du matin au campement indiqué de Beaumont. Les soldats formèrent les faisceaux et firent la soupe ; on mena les chevaux boire à la Meuse, où bien des hommes se baignèrent. Des paysans accoururent, péné-

  1. C’est à Bar-le-Duc que l’on apprit la direction prise par Mac-Mahon ; on hésitait à y croire ; enfin, sur l’insistance du général Blumenthal, chef d’état-major du Prince royal, on se décida à marcher vers le Nord. M. de Moltke dit au comte Lehndorf (qui me l’a répété) : « Il me paraît impossible que les Français aient commis cette faute, mais, s’ils l’ont commise, nos succès seront extraordinaires. » Après le second jour de marche, on avait repris contact à Grandpré et on s’avançait sur Beaumont.