Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/51

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et fut empirée par une série d’incidents qui semblent avoir été suscités contre nous par des divinités hostiles. Ce n’était pas assez d’être vaincus, désordonnés, mal dirigés, il fallait qu’au cours d’une bataille — de la bataille suprême — le commandement en chef passât dans trois mains différentes.

Après l’affaire de Beaumont, qui mettait fin à toute tentative de Mac-Mahon pour rejoindre Bazaine, la retraite fut ordonnée sur Sedan et ainsi se trouva réalisée la prédiction du général de Malroy. Nul parmi les officiers généraux n’avait plus foi dans nos armes. Quelle que fût l’issue d’une bataille nécessairement prochaine, on savait qu’elle serait meurtrière et pleine de périls ; on voulut y soustraire l’Empereur, ne fût-ce que pour conserver un chef d’État pouvant traiter de la paix, en cas d’une défaite qui, d’heure en heure, semblait devenir plus probable. On le conjura de se retirer sur Mézières, pendant que la route en était libre encore ; là il serait en sûreté et, ralliant le treizième corps, commandé par Vinoy, il pourrait rétrograder sur Paris et en activer la défense. Quant à l’armée, malgré le découragement qui avait saisi les âmes, on restait encore convaincu que le plus grand désastre dont elle pourrait être frappée était de se voir contrainte à franchir la frontière et à se jeter en Belgique.

Avec l’impassibilité qui jamais ne l’abandonnait, ni pendant ses souffrances matérielles, ni au cours de ses angoisses morales, l’Empereur refusa. Il avait désapprouvé l’opération dont il allait, avec son armée, être victime ; comme Mac-Mahon, il s’était soumis aux ordres du gouvernement, représenté par la régente et par le ministre de la Guerre. Il avait accepté un devoir qui était au-dessus de ses forces, il le reconnaissait trop tard pour y renoncer ; il ne voulut pas s’éloigner et déclara qu’il ne quitterait point les soldats dont il partagerait le sort. Le bruit courut dans les rangs qu’il avait fait comme Napoléon Ier à la fin de la campagne de Russie et après Waterloo ; on se répétait à voix basse, et même à voix haute, qu’il avait décampé. Pour faire taire ces rumeurs, il lança une proclamation qui fut lue aux troupes dans la matinée du 31 août. Il tentait de réveiller la confiance de l’armée qu’il adjurait de faire son devoir. À travers les phrases obligatoires en pareil cas, on comprenait que le découragement les avait dictées.

Lorsque la proclamation impériale — la dernière du Second Empire — fut portée à la connaissance des troupes, elles