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seraient de Moltke et Bismarck. Ses efforts furent vains. Le roi se méfiait d’un accès de sensibilité, des égards que l’on se doit entre têtes couronnées ; il refusa, ajournant l’entrevue au lendemain, lorsque les préliminaires de la capitulation auraient été réglés par les personnages officiels et selon les lois — selon les rigueurs — de la guerre.

Dans la soirée du 1er septembre, le général de Wimpffen se rencontra avec le général de Moltke, en présence de plusieurs officiers des états-majors allemand et français. Il est inutile de rapporter les incidents de ce conciliabule, qui ne pouvait aboutir pour nous qu’à une soumission presque absolue aux volontés d’un vainqueur, contre lequel il nous était devenu impossible de lutter sur ce terrain où notre armée venait de subir une déroute complète. De Moltke, sec, froid, avec son regard d’acier et son visage d’eunuque, ne se laissait égarer par aucune considération. Il connaissait le but qu’il visait, et il y allait implacablement. Il établit entre ses forces et les nôtres un bilan qu’il faut retenir, car on y trouve l’explication de cette suite ininterrompue de défaites qui nous battaient depuis le commencement de la campagne ; il dit au général de Wimpffen, qui argumentait et semblait menacer de rouvrir les hostilités : « Votre armée ne compte pas en ce moment plus de 80 000 hommes ; nous en avons 230 000 qui l’entourent complètement ; notre artillerie est toute en position et peut foudroyer la place en deux heures ; vos troupes ne peuvent sortir que par les portes et sans possibilité de se former en avant ; vous n’avez de vivres que pour un jour et presque plus de munitions. Dans cette situation, la prolongation de la défense ne serait qu’un massacre inutile, la responsabilité retombera sur ceux qui ne l’auront point empêché. »

Ce qu’il y a de triste, c’est que le général de Moltke n’avait pas énoncé un fait qui ne fût de la plus scrupuleuse exactitude. Se rappelle-t-on la discussion de la loi du maréchal Niel en 1867 et Thiers s’écriant à la tribune : « L’Allemagne peut nous opposer 300 000 hommes, pas un de plus ! En outre, nous aurons toujours deux ou trois mois devant nous pour préparer les gardes mobiles. » Deux ou trois mois ! Le 20 août 1870, au moment où Mac-Mahon allait marcher vers le Nord, c’est-à-dire moins d’un mois après la déclaration de guerre, quinze jours à peine après la bataille de Wœrth, les forces allemandes étaient ainsi distri-