Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/92

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sonne de l’Impératrice régente en fuite ; le Corps législatif, dispersé par l’émeute, était congédié par le nouveau gouvernement : « Allez, mon brave homme, on n’a que faire de vos services. » L’Empire était-il sauvable ? Je ne le crois pas ; mais le Corps législatif ! Comment les ambitieux mal avisés qui l’ont sacrifié n’ont-ils pas compris que la formule homéopathique similia similibus n’est pas applicable en politique, et que c’est faire acte de folie de vouloir guérir la peste par le choléra !

Le plus coupable en ce jour, qui ne réparait aucun désastre et en préparait d’autres, fut le général Trochu. Ou sa clairvoyance a été singulièrement en défaut, ou son ambition et sa vanité l’ont aveuglé. Seul il avait pouvoir et qualité pour protéger la représentation nationale et en faire respecter les délibérations, qui, sans doute possible, eussent été à son avantage. Il était gouverneur de Paris, commandant en chef de l’armée, troupes régulières et gardes nationales. En un mot, toutes les formes et toutes les forces du pouvoir étaient concentrées en lui. Qu’en a-t-il fait au cours de cette journée pendant laquelle il a si bien disparu que l’on ne savait où le trouver ? Sa place eût été à la tête de son état-major, devant le Corps législatif, où sa présence eût été une sauvegarde, où il aurait pu saisir la seule et fertile occasion de faire preuve de cette force morale qu’il aimait à invoquer, sans jamais y avoir recours. Nul — et j’entends parmi les plus exaltés — n’eût osé faire acte de violence malgré lui. On le savait si bien dans la faction révolutionnaire que l’on ne négligea rien pour l’empêcher d’être là où son devoir le conviait. Il s’abstint à l’heure où tout lui commandait l’action, sa dignité aussi bien que l’intérêt de la France, son honneur aussi bien que son propre intérêt. Il en reste terni dans l’histoire et son caractère y a succombé.

Grâce à son abstention à l’heure décisive, à cette heure qui ne sonne qu’une fois dans la vie d’un homme et dont la vibration se prolonge jusque dans la postérité, il a porté seul le poids de la catastrophe, car il en a, le 4 septembre, assumé toute la responsabilité. En laissant envahir et chasser le Corps législatif, il a brisé ce qui restait de légalité en France et, n’ayant plus ni point d’appui, ni soutien, il s’est agité dans le vide, cherchant partout où se raccrocher et ne trouvant rien sous sa main, parce qu’il avait laissé tout détruire. Ce qui est indispensable en ces crises désespérées, l’autorité,