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THÉOPHILE GAUTIER.

l’attirait, car il y voyait le résultat d’un effort ingénieux ; il estimait le précieux et ne s’en cachait pas : « La préciosité, cette belle fleur française qui s’épanouit si bien dans les parterres à compartiments des jardins de la vieille école, et que Molière a si méchamment foulée aux pieds dans je ne sais plus quelle immortelle mauvaise petite pièce[1]. »

Ces paysages lilas tendre et rose zinzolin qu’il apercevait à travers son rêve, qu’il aimait faute de mieux et qu’il n’avait peut-être imaginés que par aversion pour les ruelles boueuses que sans cesse il avait sous les yeux, ces paysages jolis et fardés jusqu’au ridicule, disparurent, comme un fantôme, au chant du coq, dès que Gautier, ayant pénétré en Espagne, se trouva face à face avec la nature, telle qu’elle est, et non telle que les hommes l’ont abîmée. La vieille Cybèle se montrait à lui dans toute sa nudité sereine, dans sa primitive splendeur, dans sa beauté sacrée : il en fut ébloui.

Il venait de découvrir l’inconnu, un peu comme La Fontaine avait découvert Baruch ; mais pour lui la découverte n’en était pas moins précieuse, car — surtout dans la vie littéraire — chaque fois que l’on acquiert une notion, que l’on détruit une ignorance, on fait une découverte nouvelle. Le changement même d’existence n’a pas été sans donner à son impression une acuité qu’il n’avait pas prévue. Au lieu de la température lourde, chargée de senteurs

  1. Les Grotesques. — Cf. Georges de Scudéry.