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LE VOYAGEUR.

térêt. L’intérêt ne fit pas défaut, car, en l’espace de trois jours, vingt-quatre taureaux furent portés bas et quatre-vingt-seize chevaux furent éventrés. La spada — l’épée — la plus célèbre de ce temps-là en Espagne, Montés de Chiclana, y fut applaudie comme un empereur au jour de son triomphe et sifflée comme un chien qui se sauve. Il paraît que pour ces gens-là, non plus que Mirabeau, la roche Tarpéienne n’est loin du Capitole. Montès, se trouvant aux prises avec un animal redoutable, l’avait tué d’une façon peu correcte. « Quand on eut compris le coup, dit Gautier, un ouragan d’injures et de sifflets éclata avec un tumulte et un fracas inouïs : Boucher ! assassin ! brigand ! voleur ! galérien ! bourreau ! étaient les termes les plus doux. Aux galères, Montés ! au feu, Montès ! les chiens à Montés ! Jamais je n’ai vu une fureur pareille, et j’avoue, en rougissant, que je la partageais. Les vociférations ne suffirent bientôt plus ; l’on commença à jeter sur le pauvre diable des éventails, des chapeaux, des bâtons, des jarres pleines d’eau et des fragments de bancs arrachés. » Après la course, Montés partit « en jurant ses grands dieux qu’il ne remettrait plus les pieds à Malaga ». Juste punition, noble orgueil ! ne dirait-on pas Coriolan s’éloignant de Rome ou Scipion rédigeant son épitaphe : Nec ossu quidem habebis !

Que la vanité de ces tueurs d’animaux soit excessive et, partant, passablement comique, cela n’a rien de surprenant. Leur gloire, c’est-à-dire la rumeur qui s’élève autour d’eux, est d’autant plus retentis-