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LE VOYAGEUR.

siasmes excessifs, il aima les dagues, les morions, les souliers à la poulaine ; cela est bon. Pour avoir quelque valeur dans l’âge mûr, il faut peut-être avoir été un insurgé aux heures de l’adolescence. Malgré les folies de l’école nouvelle auxquelles il s’associait, quand il ne les provoquait pas, Théophile Gautier avait une nature remarquablement pondérée ; il avait beau prêcher le paroxysme, il se plaisait à la rectitude, et ses admirations ont toujours été pour les maîtres les plus calmes ; la finesse du trait, la subtilité de l’idée, la grâce de la forme le séduisaient. Il ne s’en pouvait défendre, malgré qu’il en eût. Les Pensées de Joubert, qu’il ne cessa jamais de louer, ont été, pendant longtemps, son livre de chevet. Ni l’Espagne, ni l’Italie ne l’avaient satisfait complètement. Lorsqu’il fut à Athènes, qu’il vit « le temple de si radieuse perfection », il fut enivré : « Là, en effet, posée sur l’Acropole comme sur un trépied d’or au milieu du chœur sculptural des montagnes de l’Attique, rayonne immortellement la beauté vraie, absolue, parfaite. » Devant les monuments, devant les paysages de l’Hellade, il lui sembla retrouver quelque chose de déjà vu, comme si, après un long exil, il rentrait dans une patrie toujours regrettée. En présence de la plus complète floraison de cet art grec, que Shelley appelait « l’art des dieux », il se sentit transfiguré ; à cette minute qui compta dans sa vie, il put dire :

Je vois, je sais, je crois, je suis désabusé.