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LE CONTEUR.

le corps d’armée ; mais il marcha isolé, n’accepta aucun joug, pas même celui de Victor Hugo.

Pour s’en convaincre, pour reconnaître combien sa note est personnelle, il suffit de relire ses nouvelles. À travers le tumulte, au milieu de ces criardes fanfares qui se sont épuisées d’elles-mêmes, elles semblent un chant de violoncelle dont la vibration se prolonge encore, harmonieuse et charmante, avec la vigueur et la pureté du son initial, et cependant voilà plus de cinquante ans que le maître a saisi son archet pour la première fois. Hugo demeure en possession d’une gloire incontestée, incontestable, éclairant toute une époque de son rayonnement ; mais, sans pécher par ironie, on peut faire remarquer que les deux poètes de son école restés depuis son avènement les plus jeunes et les plus vivants sont ceux-là mêmes qui se sont le plus éloignés de lui : Théophile Gautier et Alfred de Musset.

Les premiers contes que Gautier écrivit, alors qu’il avait vingt-deux ans à peine, à l’heure même de la plus violente éruption du romantisme, ressemblent singulièrement à une satire ; il ne se gêne guère pour se railler des excentricités qu’il était le premier à ne se point refuser, et d’un mot il fait le procès à la méthode historique de la nouvelle école. Écoutez ce qu’il dit de Wildmanstadius, l’homme moyen âge : « Il vous eût raconté de point en point la chronique de tel roitelet breton antérieur à Gralon et à Conan, et vous l’eussiez fort surpris en lui parlant de Napoléon. » Cela prouve que l’admiration