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THÉOPHILE GAUTIER.

pouvait être autrement, car Théophile Gautier a toujours été un rêveur. Sa prétendue nonchalance n’eut pas d’autre cause ; il vivait dans une sorte de domaine interne où s’évoquaient naturellement des visions au milieu desquelles il se plaisait ; lorsqu’un incident le forçait à quitter les apparitions qui lui étaient chères, il se dépitait : aussi fut-il souvent dépité. Volontiers il eût dit comme Gustave Droz : « Le plus solide des biens de ce monde est un rêve auquel on s’attache et dans lequel on s’oublie. » Que l’on se rappelle ce Tiburce qui est le héros de la Toison d’or. « Souvent il restait des journées entières sur son divan, flanqué de deux piles de coussins, sans sonner mot, les yeux fermés et les mains pendantes.  » Le portrait est frappant de ressemblance ; c’est Gautier, tel que ses amis l’ont connu, immobile dans sa rêverie, c’est-à-dire dans le travail intérieur. Comme Tiburce encore, il était hardi en pensée, timide en action. C’est là en effet un des caractères les plus saillants de sa nature ; son imagination sans frein était neutralisée par une timidité extrême et par l’horreur de l’action ; c’était un contemplatif qui se contentait d’assister au dévergondage de son esprit : peut-être était-ce simplement un sage qui savait que la fiction est supérieure à la réalité.

L’imagination n’est pas comme l’invention : l’une est indépendante de la volonté ; l’autre en procède ou du moins y trouve de la force. L’homme peut évoquer sa volonté, il ne peut évoquer la rêverie ; elle vient, elle le saisit quand elle veut, flat ubi vult,