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THÉOPHILE GAUTIER.

par Phœbus le violoneux et, d’une haleine, s’en va tout droit au Sabbat, — je voulais dire au charivari :

Par l’enfer ! je me sens un immense désir
De broyer sous mes dents sa chair, et de saisir,
Avec quelque lambeau de sa peau bleue ou verte,
Son cœur demi-pourri dans sa poitrine ouverte !

Que le lecteur se rassure. Théophile Gautier n’est pas Daniel Jovard et sa poésie est moins cadavérique. C’est bien plus par le sujet que par la facture du vers qu’Albertus appartient résolument au romantisme, et j’entends au romantisme violent de parti pris, ultra-révolutionnaire, qui ne savait qu’imaginer pour être abracadabrant, macabre et frénétique. Une sorcière décrépite se change, à l’aide de ses philtres, en une jeune femme d’une irrésistible beauté ; elle attire chez elle le peintre Albertus, pour lequel elle est férue d’amour, le grise, s’en fait aimer sans restriction, redevient une horrible vieille, enfourche son ballet et conduit au Sabbat son amant d’une heure, que l’on retrouve, le lendemain, sur la voie Appia, « les reins cassés, le col tordu ». Lorsqu’il a terminé son récit, qui n’a pas moins de quatorze cent soixante-quatorze vers, le poète, pour se reposer, s’installe auprès du feu :

Donnez-moi la pincette et dites qu’on m’apporte
Un tome de Pantagruel.

Le vers est beaucoup moins échevelé, beaucoup moins « fantastique » que ne le ferait supposer le