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LE POÈTE.

excessive que l’on n’y croit guère ; mais on y retrouve des traces fréquentes de cette mélancolie maladive qui, à cette époque, a conduit tant déjeunes hommes au suicide. Gautier avait alors environ vingt-cinq ans ; c’est l’âge des tristesses sans motif, des alanguissements sans cause. Il n’y échappe pas :

Allez dire qu’on creuse
Sous le pâle gazon
Une tombe sans nom.
Hélas ! j’ai dans le cœur une tristesse affreuse !

Dans Thébaïde qui est un appel au Nirvanâ, dans le Trou du serpent, dans le Lion du cirque, on peut, sans longue recherche, trouver preuve du marasme auquel les rêveurs sont exposés plus que tout autre. Cette note triste, qui murmure comme un sanglot étouffé, n’a rien de voulu ; elle est naturelle, et n’est que l’indice d’un état d’âme. Cela est si vrai, que dans Ténèbres, une fort belle pièce écrite en 1837, Gautier donne un vers qui semble avoir été composé pour servir de devise à son existence entière, à son existence résignée et parfois si dénuée :

Je suis las de la vie et ne veux pas mourir !


Ces chants lugubres ne durent pas, ils s’évanouissent comme des nuages que dissipe un souffle de vent ; le soleil reparaît, le poète se ressaisit et il exulte quand il a bien travaillé :

Par Apollo ! cent vers ! je devrais être las ;
On le serait à moins, mais je ne le suis pas.
Je ne sais quelle joie intime et souveraine
Me fait le regard vif et la face sereine.