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LE POÈTE.

poésie a rejeté les livrées pour reprendre la draperie primitive ; mais le costume est parfois insuflisant et le poète en souffre. Qu’y peuvent les gouvernements ? Rien ou bien peu. On ne suscite pas les poètes ; les concours, les prix de poésie y sont impuissants ; on ne peut que les récompenser quand ils se sont manifestés ; je dirai plus, c’est un devoir, lorsqu’ils ont donné preuve de talent, de les mettre en situation de n’avoir pas à souffrir de la gêne et de développer leurs facultés, sans être condamnés à pourvoir, par un travail ingrat, aux nécessités de la vie. Lorsque Lamartine publia ses Méditations en 1820, Louis XVIII lui envoya la collection des Chefs-d’œuvre de la littérature française édités par Didot ; c’est fort bien, car Lamartine était riche ; s’il eût été pauvre, une pension eût mieux valu.

Gautier regrettait-il le temps où le poète, pourvu de pensions qui assuraient sa vie, pouvait, sans trop de préoccujîations matérielles, dévider le fil d’or de ses pensées sur le rouet des rimes sonores ? je n’en serais pas surpris. Il le dit implicitement lorsqu’il fait le compte des écus de Scarron et lorsque, racontant la plaisante contestation de Colletet contre Richelieu, à propos du mot « barboter » proposé par celui-ci, repoussé par celui-là, il s’écrie : « Heureux siècle que celui où un ministre comme Richelieu, entre tant de grandes choses qu’il faisait ou méditait, trouvait encore le temps de s’occuper des productions de l’esprit et de disputer avec un poète sur le plus ou moins de propriété d’un