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LE POÈTE.

acquise à son avenir, car on lui avait montré du doigt un siège au Sénat, près de celui où Sainte-Beuve s’était assis. Le songe était trop beau qui devait bercer ses vieux jours. Il vivait dans la féerie de son rêve ; brutalement le décor changea, et le pauvre poète sombra dans le désastre où la France faillit périr. La guerre, la révolution du 4 Septembre, l’investissement de Paris, la Commune l’assommèrent. Il mit deux ans à en mourir, mais il en mourut, et il ne fut pas le seul qui n’eut plus la volonté de vivre après tant d’infortune. S’il n’a pas désespéré de notre pays, il a été désespéré de ses souffrances héroïques ; il a entendu les petits enfants pleurer parce qu’ils avaient faim ; il a vu brûler Paris, il a parcouru les ruines de nos maisons, de nos monuments incendiés par l’envie, l’alcoolisme, la bêtise, et il a été stupéfait : « Eh quoi ! cette civilisation dont on est si fier recelait une telle barbarie ! Nous aurions cru, après tant de siècles, la bête sauvage qui est au fond de l’homme mieux domptée. Quel est l’Orphée, quel est le Van Amburgh, doctus lenire tigres, qui l’apprivoisera ? » De ce jour, Gautier fut écrasé.

Le sentiment de la patrie, sa croyance à des mœurs moins criminelles, son amour pour les lettres plus dédaignées que jamais, la foi en sa propre sécurité de nouveau et pour longtemps compromise : tout se lamentait en lui. Il ne se sentait plus la force de lutter ; il disait : « Je vis par habitude, mais je n’ai plus envie de vivre. » Par une action naturelle de