Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
LA JEUNESSE.

les prospectus, les recettes de cuisine, les almanachs ; il estimait que Mathieu Laensberg est un « primitif » remarquable par sa naïveté et que Carême a prouvé qu’un « maître-queux » pouvait avoir de la hauteur d’âme, parce qu’il a écrit : « Ce n’est qu’en étudiant Vitruve que j’ai compris la grandeur de mon art. » Ceci fut pour lui, pendant quelque temps, la plaisanterie favorite. À ceux qui lui parlaient peinture, sculpture ou poésie, il répondait : « Étudie Vitruve, si tu veux comprendre la grandeur de ton art. » Presque tous ses interlocuteurs restaient la bouche bée, car bien peu avaient lu les œuvres de celui qui s’intitule « l’élève et l’admirateur de l’illustre La Guipière ».

Cette soif de savoir, que jamais rien n’apaisa, eut pour Théophile Gautier d’enviables conséquences. Il était doué d’une mémoire extraordinaire : ce qu’il avait vu ou entendu restait gravé dans son souvenir. Il ne mettait aucun ordre dans ses lectures : un livre lui tondrait sous la main, il l’ouvrait par une sorte de mouvement machinal et ne l’abandonnait qu’à la dernière page. On pourrait croire que ce pêle-mêle, sans sélection ni discernement, produisait quelque confusion dans sa cervelle : nullement. Il avait un des esprits les plus méthodiques que j’aie rencontrés ; tout s’y classait naturellement, par une sorte de pondération instinctive qui parfois contrastait avec le dévergondage de la parole ; c’était là une faculté maîtresse qui, au cours de sa littérature forcée, lui a rendu d’inappréciables services.