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LA JEUNESSE.

bataille romantiques, lorsque, aux premières représentations de Victor Hugo, on faisait donner les intrépides, les chevelus, « les durs à cuire », dont l’intervention à la fois opportune et violente avait souvent déterminé la victoire. Ceux-là, dont rien ne modérait l’enthousiasme, étaient à l’armée romantique ce que fut la vieille garde aux armées de Napoléon Ier : ils ne reculèrent jamais. Ce bataillon sacré, c’était Gélestin Nanteuil qui le commandait. Au mois de mars 1843, lorsque la Comédie-Française allait représenter les Burgraves, Victor Hugo se souvint du chef vigoureux qui ne s’était point ménagé à Hernani, au Roi s’amuse, à Lucrèce Borgia, à Marie Tudor, et il dépêcha vers lui deux de ses disciples pour lui demander trois cents jeunes gens auxquels serait confiée la mission d’aider au succès du prochain drame. Célestin Nanteuil écouta les messagers et répondit : « Il n’y a plus de jeunes gens. » On insista ; secouant la tête, triste comme s’il eût contemplé la défaite d’une armée jadis victorieuse, il reprit : « Dites au maître qu’il n’y a plus de jeunes gens. » On ne put lui arracher une autre parole. Les Burgraves furent joués ; ce ne fut pas une bataille, ce fut une déroute.

Dans le Cénacle, dans ce milieu à la fois farouche par hi raideur des opinions et tendre par l’affection qui unissait tous les membres, enivré d’amour de l’art, immodéré comme il sied aux heures de la primevère, méritant d’avoir pour devise le mot excelsior, désintéressé surtout, sans aucune pensée de