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LA JEUNESSE.

souvenir a la fraîcheur d’un souvenir d’hier ; l’impression d’enchantement subsiste toujours. De la terre d’exil où l’on poursuit le voyage, gagnant la gloire à hi sueur de son front, à travers les ronces, les pierres et les chemins hérissés de chausse-trapes, on retourne avec un long regret des yeux mélancoliques vers le paradis perdu. Une telle joie ne devait sans doute pas durer. Être jeune, intelligent, s’aimer, comprendre et communier sous toutes les espèces de l’art, on ne pouvait concevoir une plus belle manière de vivre, et tous ceux qui l’ont pratiquée en ont gardé un éblouissement qui ne se dissipe pas[1]. » Une autre fois, faisant allusion à la même époque, il écrit à Sainte-Beuve : « Oui, nous avons cru, nous avons aimé, nous avons admiré ; nous étions, ivres du beau, nous avons eu la sublime folie de l’art. »

Non « une telle joie ne devait pas durer » ; le Cénacle se dispersa ; on quitta la grande route où l’on marchait de conserve et chacun prit le sentier que l’aptitude ou la nécessité ouvrait devant lui. On resta uni par l’invisible lien de la foi commune, mais on fut séparé ; sans que la troupe fût moralement licenciée, chaque soldat s’en alla vers son étape particulière, sachant bien qu’au premier appel on se retrouverait autour du drapeau.

Vers cette époque, c’est-à-dire en 1833, Théophile Gautier alla s’installer, impasse du Doyenné,

  1. Histoire du romantisme, p. 86, 87.