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LE CRITIQUE.

Cunin-Gridaine devenu ministre, sans réfléchir que ces deux personnages n’avaient fait que leur métier, tandis que Théophile Gautier se plaignait de ne pouvoir faire le sien. Le maître de la Presse argumente à sa façon, et pour démontrer qu’un poète peut vivre de la poésie, il énumère les ouvrages en prose qui ont aidé à la fortune des écrivains. Est-ce que le feuilleton de Gautier lui-même ne lui apporte pas la part la plus sérieuse de ses revenus ? Certes, et le pauvre Gautier ne l’a jamais nié ; mais si tous les lundis il remplaçait la prose de sa critique dramatique par une pièce de vers, Émile de Girardin se priverait, sans hésiter, d’une collaboration si prompte à la rime et prouverait de la sorte que l’opinion émise à propos de Chaudesaigues était moins paradoxale qu’il n’a bien voulu le croire. — En tous cas, cette leçon — pour ne dire cette correction — administrée publiquement à un homme de la réputation de Théophile Gautier était une inconvenance cruelle que l’on aurait dû lui épargner.

Il la ressentit vivement ; il me parla de Girardin avec une extrême amertume et le qualifia d’un mot que je ne répéterai pas. Il me disait : « Je n’ai pour toute réponse qu’à donner ma démission de rédacteur de la Presse, mais je ne le peux pas ; je subis l’outrage, et cela seul affirme que j’ai eu raison de dire que, faute de pain, le poète en est réduit à des travaux qui lui sont antipathiques ; non, je ne peux pas jeter mon feuilleton au nez de Girardin, car je