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FANTÔMES BRETONS


Je m’y rendis sur-le-champ. Je vis, en approchant, un vieux loup de mer, cassé par l’âge et les fatigues, occupé à étendre des filets sur les rochers. Il avait l’air affable, mais bien triste, et la misère se lisait au premier abord sur sa personne comme dans sa demeure ; mais du moins c’était une misère acceptée, c’était une tristesse fille de la résignation, que l’on trouvait au fond de toutes les paroles du bon vieillard. Je ne puis rapporter ici tout ce que Pilote me dit de touchant, de chrétien, de résigné, pendant les trois heures que je passai assis sur le seuil de sa maison, en face de la mer qui brisait à nos pieds. Je vais seulement vous raconter l’histoire des malheurs de sa jeunesse.


II

C’était vers 1812. Pilote-Misaine avait vingt-quatre ans. Des blessures, gagnées contre l’Anglais, l’ayant fait débarquer, il revint au pays. Sa mère, déjà veuve, était morte pendant son dernier voyage. Il acheta un canot pour gagner sa vie, et, grâce à ses campagnes, il fut nommé pilote du quartier. Solitaire par goût, Misaine n’avait d’autre compagnie, sur terre comme sur mer, qu’un beau chien barbet, auquel il avait donné le nom de Goëland. C’était un animal de la meilleure race, alerte et nageur comme un terre-neuve, fidèle comme un chien couchant et assez fort pour sauver un enfant dans la mer. Pilote l’emmenait à la pêche avec lui et, chose singulière, il l’avait dressé à tenir ferme la barre du gouvernail, puis à serrer l’écoute quand il ventait.