Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On passe ensuite une autre cour, et l’on entre dans une autre salle, beaucoup plus belle que la première, où l’on n’admet que les amis particuliers : tout autour est le logement des domestiques du mandarin. Après cette salle est une autre cour ; on trouve une grande porte qui ferme l’appartement des femmes et des enfants, où aucun homme n’oserait entrer : tout y est propre et commode. On y voit des jardins, des bois, des lacs et tout ce qui peut récréer la vue ; il y en a qui y forment des rochers et des montagnes artificielles percées de tous côtés, avec divers détours, en forme de labyrinthes, pour y prendre le frais ; quelques-uns y nourrissent des cerfs et des daims, quand ils ont assez d’espace pour faire une espèce de parc : ils y ont pareillement des viviers, pour des poissons et pour des oiseaux de rivière.

L’hôtel du tsiang kun, ou général des troupes tartares qui sont à Canton, passe pour un des plus beaux qui soit dans toute la Chine ; il avait été bâti par le fils de ce riche et puissant prince, appelle Ping nan vang, c’est-à-dire, pacificateur du midi. L’empereur Cang hi l’avait fait en quelque sorte roi de Canton, en reconnaissance des services qu’il avait rendus à l’État, en achevant d’assujettir aux Tartares quelques-unes des provinces australes de la Chine : mais comme il oublia bientôt son devoir, il attira peu d’années après la disgrâce de l’empereur sur sa personne et sur toute sa maison, et finit sa vie à Canton, en s’étranglant lui-même avec une écharpe de soie rouge, que l’empereur lui envoya de Peking en poste par un des gentilshommes de sa chambre.

Ce qui fait la beauté et la magnificence des palais chez les Chinois, est bien différent de ce qu’on admire dans ceux d’Europe. Quoi qu’en y entrant, l’œil juge à la grandeur des cours et des édifices, que ce doit être la demeure d’un grand seigneur ; néanmoins le goût d’un Européen est peu frappé de cette sorte de magnificence, qui ne consiste que dans le nombre et l’étendue des cours, dans la largeur et la capacité de quelques grandes salles, dans la grosseur des colonnes, et dans quelques morceaux de marbre grossièrement travaillé.

Le marbre est très commun dans les provinces de Chan tong, et de Kiang nan ; mais les Chinois ne savent guère profiter de cet avantage ; car ils ne s’en servent pour l’ordinaire qu’à revêtir quelque canal, ou à construire des ponts, des arcs de triomphe, des inscriptions, leur pavé, le seuil de leurs portes, et les fondements de quelques pagodes.

Les Chinois ne sont pas curieux, comme en Europe, d’orner et d’embellir l’intérieur de leurs maisons : on n’y voit ni tapisseries, ni miroirs, ni dorures : comme les hôtels que les mandarins habitent, appartiennent à l’empereur qui les loge, et que leurs charges ne sont proprement que des commissions, dont on les dépouille, quand ils ont fait des fautes ; que, quand même on est content de leur conduite, ils ne sont pas stables dans le lieu où on les a placés, et que lorsqu’ils y pensent le moins, on leur donne un gouvernement dans une autre province, ils n’ont garde de faire de grandes dépenses pour meubler richement une maison, qu’ils sont à tout moment en danger d’abandonner.